Je dois avouer ne pas bien connaître la carrière de Yann TIERSEN depuis le début des années 2000, à un ou deux albums près et sans compter la B.O. d'Amélie Poulain, jamais écoutée en dehors du film. Toutefois, il est clair que le petit dernier, All, s'éloigne grandement du précédent, Eusa, dédié au piano seul.

Il en reprend l'idée d'un concept, et aussi le rapprochement plus grand avec sa Bretagne natale. Attention, cette oeuvre a de quoi marquer considérablement un amateur de musiques raffinées, pour ne pas dire complexes. Vu le niveau de popularité de l'artiste et face à une programmation de nouveautés hebdomadaires en musique française qui ne présente aucun de ces qualificatifs (loin s'en faut), ce n'est même plus de la marginalité ; c'est salutaire !

Enregistré au studio fétiche du monsieur, dans sa propre résidence à Ouessant, All est un album exigeant qui propose des thèmes enregistrés par TIERSEN seul pour les instruments (une sacrée performance !) et différentes voix féminines, plus rarement masculines. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de souligner immédiatement la présence, pour la gwerz "Gwennilied", de celui que les Bretons appellent familièrement Denez et nous, profanes, Denez PRIGENT, autre artiste immense. Sa voix est rendue plus grave, pour un résultat à la hauteur de ses propres productions desquelles le texte sous forme de promenade spirituelle le rapproche aussi, c'est lui-même qui l'a écrit.

Ailleurs et comme sur Eusa, TIERSEN adapte des textes de la poétesse Anjela Duval, quand il n'en écrit pas à son tour avec l'aide de sa femme Emilie, une de ses chanteuses fétiches. L'auditeur est convié au voyage mais en grand cette fois. La musique tend à sonner orchestrale au contraire du dépouillement du prédécesseur d'All. Depuis le début de la décennie 2010, l'artiste s'est pas mal avance sur le terrain post-rock, et le minimalisme cher à son coeur est ici retranscrit à travers des boucles mélodiques, des airs répétés, parfois sur neuf minutes ("Erc'h"). "Bloavezhioù" propose même une suite de chiffres énoncés en breton, unan (un), daou (deux), tri (trois) etc.

Le premier morceau, "Tempelhof", rappelle d'abord un petit peu la participation de TIERSEN au dernier (et génial !) disque d Alan STIVELL paru il y a quelques semaines. Avec les grands accords de guitare distordue et les bandes inversées ensuite, il y a un effet de ressac. Moult éléments naturels s'ajoutent au fil des morceaux, bruits nocturnes, chants d'oiseaux... Les claviers, aux sons de cordes amples, conduisent l'ensemble, survolés par le piano, quand celui-ci ne domine pas le discours (sur le magnifique "Prad", par exemple), et bien sûr les voix. Voix féminines magnifiques, féeriques et qui s'accordent avec la touche enfantine autant que passionnée de certaines mélodies ("Koad", la fin de "Erc'h"). Cela vaut pour les récitations, idée courante ici.

Les hommes ne sont pas en reste, on parlait de Denez PRIGENT mais il y a également le Féroïen Ólavur Jákuppson dont le chant se rapproche lui aussi de STIVELL, très curieusement. Une belle découverte, pour un morceau plus riche que les autres, avec ses guitares-bourdon, ses harpes, un son de saxophone modifié. La plupart du temps, on croise des percussions cristallines, des ribambelles d'effets, un violon plaintif, des notes de guitare western... Une palette sonore vivifiante, ce qui n'empêche pas certains écueils, une trop grande part d'emphase selon les morceaux, comme les cuivres de la fin d'"Heol", excellent jusque là. De quoi d'ailleurs évoquer les travaux instrumentaux de Dan AR BRAZ... Et que dire du court "Aon", bijou de danse des éléments en pleine nuit ?

Voilà une superbe réalisation, un disque tout à fait digne du talent incroyable de Yann TIERSEN, une fois de plus ! Toutefois, cette quête obsesionnelle du beau et du positif, très spirituelle au final, et dans un ensemble musical aussi touffu, peut s'avérer déroutante en général et au même titre que la plus grande noirceur, son opposée. J'ai la même réserve pour des albums emblématiques tels qu'Astral Weeks de Van MORRISON ou Rock Bottom de Robert WYATT.