Avec deux albums parus la même année, Yann TIERSEN suggère une fièvre de créativité, un regain marqué par l'installation de son studio d'enregistrement à Ouessant et l'immersion totale dans la culture bretonne. C'est ce que l'on pense d'abord, avant de comprendre que Portrait, paru au début du mois de décembre, faisant suite à All en février, est une forme de compilation entièrement décidée par lui-même.

Ce double-disque de plus d'une heure trente est l'occasion de revenir sur certains moments forts de sa carrière en les réenregistrant, avec l'envie de montrer au public leur habit le plus simple, le plus organique. L'artiste voudrait peut-être s'éloigner davantage de sa période des grands succès, mais il ne l'oublie pas pour autant : si l'on échappe à la bien connue "Valse d'Amélie Poulain", on a bien droit à la "Comptine d'un autre été (l'après-midi)", partition de piano qui a très justement marqué les esprits. Je l'entends au moins une fois par jour au magasin, jouée sur les pianos à disposition, entre les bribes plus ou moins hésitantes de "Au clair de la lune", "La lettre à Elise" et les mecs en sweats-capuches qui veulent épater la galerie avec "Still D.R.E." ou "Despacito".

Se pose d'ailleurs le problème de la finalité de cette oeuvre, mais on y reviendra.

Il y a une poignée d'inédits, "Closer" et "Thinking Like a Mountain". Le premier est une collaboration rapprochée avec le groupe new-yorkais BLONDE REDHEAD dont le chant féminin et l'ambiance suave augmentée de cordes lui permettent de bien trouver sa place dans ce choix de morceaux. Le second est une narration d'un extrait d'Almanach d'un Comté des Sables, texte 'naturel' d'Aldo Leopold, où des chants de loups imités se confondent aux voix de John Grant (ex-THE CZARS) et Stephen O'Malley (le musicien de Seattle et pilier du doom metal qui vit à Paris). Belle ambiance fleuve, avec claviers mélodiques en fond, sur plus de six minutes.

Le reste est pioché dans le répertoire de TIERSEN, avec une préférence pour les premiers albums (Rue des Cascades et Le Phare, mieux que La Valse des Monstres) et la plupart des derniers, publiés depuis la fin des années 2000, en comptant même la B.O pour le documentaire sur Eric Tabarly. De la partie échevelée de violon de "The Wire" (anciennement "Sur le fil", extrait de Le Phare) au réenregistrement de "Monochrome" (même album) où la voix de Dominique A est remplacée par celles de Gruff Rhys (SUPER FURRY ANIMALS, NEON NEON) et d'Emilie, femme et chanteuse favorite de TIERSEN, l'auditeur habituel comme le novice peuvent trouver une palette d'enchantements divers, issus de la même empreinte.

Délicate, raffinée, celle-ci propose une nouvelle version de "Rue des Cascades" où le piano supplante le clavecin et à laquelle se prête magnifiquement la voix d'Emilie Tiersen. Le clavecin est néanmoins présent dès le "Mouvement introductif" et aussi sur "The Jetty", tout comme l'accordéon bien sûr. On pourrait se délecter simplement de ces moments, mais quelque chose bloque. La sélection de morceaux n'est pas toujours représentative du meilleur de TIERSEN, ou alors certains titres sont réenregistrés de manière peu convaincante.

Le piano, instrument-roi, se voit parcouru d'effets bidouillés, d'accords de guitare électrique saturée, et l'homogénéité peut devenir redondance. On pense aussi à "Naval" par exemple, extrait de la B.O Tabarly avec ses sonorités huileuses, ou la "Waltz of the Monsters" avec sa masse orchestrale à l'inverse de l'émouvant "Chapter 19" ou encore "Kala" et son très beau chant masculin.

L'artiste breton mise beaucoup également sur son dernier album All, sensationnel et présent pour moitié ici, mais qui aurait peut-être mérité d'attendre un peu encore avant d'être présenté de nouveau avec des arrangements plus sobres - et encore, pas toujours. Une occasion de mettre en valeur Emilie Tiersen, aussi de réaffirmer la présence du Féroien Olavur Jákupsson. En outre, c'est un disque exigeant, dont l'inspiration ne justifie pas forcément la longueur. Au moins, Yann TIERSEN propose, et généreusement ; à chacun de faire sa petite sélection, après cela.