Malgré le peu de reconnaissance accordé à ses premiers essais, Yann TIERSEN continue son bonhomme de chemin en publiant un troisième album (deuxième pensé comme tel) qui fait directement suite aux précédents. La consécration attendra encore un peu, et le reste suivra.

Le Phare est très proche de Rue des Cascades en particulier, pour l'aspect 'recueils de thèmes à couleur cinématographique'. Néanmoins, le succès arrive, grâce à la collaboration avec Dominique A sur deux morceaux. "Monochrome", dont l'univers hivernal est perçu par des yeux d'enfant, est l'un des premiers morceaux entièrement écrits par TIERSEN et en anglais, alors qu'il reprenait souvent des poèmes auparavant.
Ce titre s'ancre en tête dès la première écoute, porté par une ritournelle chantée de manière joliment décontractée par Dominique A, et qui aura la bénédiction des radios. Dans le même ton, mais en plus court, "L'arrivée sur l'île" est un des titres qui alimentent une trame plus ou moins favorisée par l'album, autour de la mer et des marins. La sensation de contempler un monde de voyage n'est pas incongrue, et l'accordéon n'y est pas étranger.

Le Phare reste l'une des meilleurs oeuvres de TIERSEN, on le comprend dès les premières notes du morceau "Le Quartier", certes ouvert d'abord aux musiques orientales, mais qui nous rappelle aussi que le compositeur n'est pas breton pour rien, grâce à ses quelques consonances an dro. Avec également la présence du batteur Sacha Toorop, le son y est plus 'lourd', y compris sur "La Rupture".

On se trouve ainsi en présence d'un disque plus folk-traditionnel, là où Rue des Cascades se montrait plus contemporain, et aussi moins axé sur le piano. L'homme-orchestre s'en donne à coeur joie : la valse "L'Homme aux Bras Ballants", "L'arrivée sur l'île", et "Le Fromveur", gavotte instrumentale où résonnent le signal du phare, tous très beaux, n'ont nul besoin de s'étendre pour enchanter l'auditeur.

Toujours peu de voix ici, mais "La Rupture", pétri de sons percussifs et de sonorités orientales, nous fait retrouver Claire Pichet avec bonheur. La chanteuse est ici présente avec plus de chaleur que sur le précédent opus, contrairement à TIERSEN lui-même qui paraît hésitant sur la toute dernière chanson. Et plus loin, c'est de nouveau Dominique A avec "Les bras de mer" dont le caractère lancinant nous amène à rêver d'une autre manière. Ah, ces violons qui vibrent en évoquant la brume sur l'océan !

Quant au piano, il est à l'avenant sur trois des meilleurs thèmes de l'ensemble, "La Chute", "Sur le Fil" et "La Dispute", même si à chaque fois précédé d'un instrument différent, le violon ou l'accordéon, preuve que le compositeur tient toujours à prendre le temps de développer ses idées (ce sont les morceaux les plus longs), et pour le meilleur.

De pures merveilles, "Sur le Fil" en priorité, où le violon se fait parfois agressif, prend des airs quasiment rock. Le piano quant à lui rend tour à tour hommage à Arvo Pärt ("Fur Alina") et à Erik SATIE (les célèbres "Gnossiennes"), symboles de raffinement. L'accordéon fait quelques grands écarts d'un point de vue mélodique sur "La Dispute", preuve là encore d'un certain goût pour la recherche, le tâtonnement aussi.

Le Phare, bien que plus condensé que son prédécesseur, est pour cela une nouvelle oeuvre pleine de 'feeling' car cela fonctionne très bien en français. Un appel aux sentiments, un écrin de beauté.