Avec Internet, il est facile d’obtenir l'information rapidement ; le problème, c’est qu’il est autant aisé d'oublier dans la foulée. Lorsqu'on a été fan d'un groupe, KARNATAKA par exemple, pendant quelques années, on restait à l'affût d'une nouvelle sortie potentielle. Néanmoins, le groupe ou l'artiste prenait son temps, on a fait d'autres découvertes, on est moins concentré... Et puis un beau jour, on découvre que cela fait déjà plusieurs années que l'album en question est sorti !

Il faut dire qu’Ian Jones a encore opéré pas mal de changements au sein de sa formation chérie que seule une femme peut porter en avant. D'abord, à la batterie, ce n'est plus Ian Harris mais Jimmy Pallagrosi, et aux claviers, Gonzalo Carrera a été remplacé par Çağri Tozluoğlu, qui développe également pas mal l'aspect orchestral. En accord avec le choix de la frontwoman, cela tombe très bien. Lisa Fury étant partie, c'est Hayley Griffiths qui tient le rôle prédominant. Originaire du comté du Surrey (non-Galloise donc), elle a été mise en lumière à échelle internationale en chantant pour les troupes Riverdance et Lord of the Dance.

Grande amatrice de metal symphonique, elle donne, à l'instar du claviériste, la petite couleur qui s'impose, nouvelle pour KARNATAKA. Et même physiquement, un look "voyant", pimpant et sexy qui se différencie des Rachel et Lisa que l'on a bien connues ! Les gimmicks du néo-progressif se marient donc ici avec ceux du metal symphonique, avec des cordes très présentes, une harpe aussi et une chanteuse qui use d’un lyrisme certain, mais sans qu’on ait le ressenti habituel avec ce qui peut alourdir un tel genre. Et puis, on reste dans un domaine rock progressif avant tout, malgré le changement !

Pourtant, ils vont bien dans ce sens, les effets orientaux des cordes sur la montée de "Forbidden Dreams", couplés aux guitares grasses et au synthé qui souligne, le début du disque franchement similaire ("Road to Cairo"), tablas en prime. Jamais on ne trouve à redire, les mélodies sont une fois de plus très travaillées, mesurées avec suffisamment de précision pour s’accorder au chant clair, splendide. Et deux Hayley Griffiths qui chantent ensemble, grâce à la magie du studio, c’est une beauté de puissance double ; écrit ainsi, ça paraît bête, mais le son ne dit pas le contraire.

"Road to Cairo" propose un rythme délicieusement chaloupé, tandis que "Poison Ivy" emploie un ton de marche solennelle dont le refrain ne ressort que mieux. KARNATAKA s’offre quelques belles récréations typiquement progressives ("Because of You", avec aussi ses méandres vocaux du plus bel effet), et des chœurs-Mellotron fort bien placés ("Poison Ivy"…). Puisqu’on parle de claviers, l’utilisation par Tozluoğlu d’un piano aux reflets célestes, conjugué à la harpe, est prétexte pour augmenter le nombre de ballades en milieu de disque.

"Borderline" et "Fairytale Lies" sont tout à fait appréciables dans ce domaine, la première étant plus pop et léchée que la seconde. Finalement, seule "Feels Like Home" peut constituer une baisse de qualité pour ce disque, en plus de trop lorgner vers "Out of Reach", classique du groupe, et même si les harmonies vocales de fin sont superbes.

On arrive à "Secrets of Angels", le clou d’ensemble, long de 20 minutes. On le sait dès le départ avec son intro celtique et planante, fragile ; puis on alterne avec des passages chantés, développements prog plus à la faveur du groupe de base ou des cordes/chœurs selon les moments, arpèges de guitare acoustique façon rai de lumière perçant le ciel nuageux, et final épique où Hayley Griffiths s’envole tel un ange. Certains peuvent toujours continuer de la dévaluer face à Rachel Jones/Cohen.

Outre l’intro aux flûtes irlandaises, Troy Donockley vient offrir ici ce qui reste un de ses plus beaux solos d’uilleann pipes. Et puisqu’on parlait de metal symphonique, rappelons avec amusement que la dernière fois qu’il a participé à un disque des Gallois (sans parler bien sûr de tous les autres groupes de prog celtique du même rang), sur The Gathering Light en 2010, il n’était encore qu’invité au sein de NIGHTWISH, et là, le voilà devenu membre permanent, jusque dans son look.

Ian Jones et KARNATAKA ont raison de prendre leur temps, quitte à espacer les publications. En tout cas, la qualité des huit nouveaux morceaux soutient celle des disques précédents, et de surcroît, on a droit à un véritable pavé progressif inspiré, enfin !