Le coup de la photo du groupe pour la pochette, quand les précédentes n’avaient rien à voir, ça peut inquiéter, surtout que nous sommes en 1981. Salabrun ne paraît qu’une seule année après le troisième album de MONT-JÒIA, tout semble fait à la va-vite. Les paroles seules apparaissent dans la pochette, et le groupe cesse son activité ensuite (du moins, de manière autant liée à l’industrie du disque).

Oui mais voilà, avec trois Provençaux fiers et talentueux, il faut s’attendre à tout ce qui peut être bien, et c’est, de fait, une conclusion digne de ce nom, plus que cela même, avec un grand pas en avant dans l’effort de création. Des signes avant-coureurs s’étaient laissé entrevoir sur le disque de Noël lorsque certains membres du groupe avaient ajouté une ou deux parts de morceaux originales.

Ici, Cònte, Dupont et Carlòtti composent et écrivent tout, une performance remarquable autant que l’idée de vouloir coller au plus près de la tradition musicale. Les éléments qui se distinguent de manière "novatrice" se situeraient d’ailleurs au niveau des paroles : "Se ma cançon", au ton militant, rêve d’une indépendance de l’Occitanie, et "Autura", complainte avec narration triste qui mentionne le développement industriel pour le moins important dans la zone de l’étang de Berre, non loin de Marseille, depuis le début des années 1930.

Parmi les autres titres, MONT-JÒIA entonne avec force un chant de marche vers la mort (pour les soldats ?) sur "Lei tres armas", alterne avec un texte séducteur et bon vivant ("Mazurca de la plueia"), d’autres plus fidèles à une tradition galante avec touche féminine ("Valsa de mai", "Barcatièra de Ròse"), une invitation à un gala des monstres mythologiques provençaux (le Drac, la Tarasque et autres sur "La ribòta del mostres").

Ces chansons reprennent parfois les structures habituelles, le chant qui se plie au rubato (calme/accélération/calme…), et la "Valsa de mai" se trouve d’autant plus saisissante qu’elle oppose couplets sombres et refrains guillerets. Du niveau des chefs-d’œuvre précédents, bien sûr ! De même que la fameuse "Ribòta del mostres", assez sensationnelle. Avec sa guitare, Jan-Maria Carlòtti donne un ton de ballade folk contemporaine à plusieurs de ces titres, tandis que "Mazurca de la plueia" prend des airs d’opérette.

La musique est moins diversifiée que les textes, certes, mais le ton global n’en demeure pas moins excellent et d’une richesse insoupçonnée. Vraiment, Salabrun reste tout sauf l’album de trop et atteint aisément les sommets du premier et du troisième album du groupe. Une fois de plus, c’est dû à une force de chant(s) et une maîtrise des arrangements sans faille. Dès "Se ma cançon", nous sommes servis en harmonies superbes, en effets de chant poignants (le pont entre blues et musique andalouse), en savoir-faire du côté des galoubets, ocarinas et autres flûtes.

Pas de claviers ici, mais le son géré par Patrice Cònte sur "Autura" fait penser à un orgue, et le musicien nous offre un "Barcarin" où ses flûtes tiennent le rôle du quatuor de chambre habituellement dévolu aux cordes, génial ! Surtout que c’est très inspiré question mélodie et atmosphère, à l’image d’un autre instrumental, "Nanon", rythmé par le violon, l’ocarina et le saz, magnifique saz qui ressort grâce à la production flottante, de façon idéale sur tout le disque.

La suite sans paroles "Aquí"/"Salabrun"/"Dansa dei Turcs" est le clou du disque, avec ses ambiances maritimes, bien aidées par le saz et les percussions au début, à la fin par les vocaux énergiques. Une conclusion magistrale trouve sa place avec "Barcatièra de Ròse", complainte au jeu de guitare plus fourni, valse fragile et différente des autres, ponctuée de refrains beaux à en donner les larmes. Un grand bravo, et un merci immense, amis de MONT-JÒIA, pour tout cela !