Jusqu'en 1973-74, LE ORME vivent leurs plus belles années. Un disque d'or avec Uomo di Pezza (1972), une tournée à succès dont la première partie est assurée par Peter HAMMILL seul - puisque VAN DER GRAAF GENERATOR est en stand-by -, et un disque en gestation sur le point de marquer à jamais l'histoire de la musique italienne lui aussi.

Felona e Sorona (1973) symbolise l'apogée de la carrière de LE ORME. C'est leur disque le plus vendu, le plus connu et souvent cité comme le meilleur, avec une pochette digne de ce nom, l'une des premières fois en Italie (après Uomo di Pezza) où la peinture est utilisée à ces fins. Pour vous dire, plus de trente ans après sa sortie, elle a été ma porte d'entrée vers le rock progressif italien ! Quant au succès à l'époque, il est tel que le susmentionné Peter HAMMILL se voit chargé par la maison de disques, Philips, de superviser une version anglaise, en partenariat avec Charisma Records. L'intéressé regrette d'ailleurs cette expérience, à la fois pour la difficulté de traduire l'italien et l'effort final médiocre d'Aldo Tagliapietra au chant.

On nous montre des femmes dénudées dans un style précieux et antique – de quoi rajouter à la valeur de cet album, mieux et avec plus de naturel que Uomo di Pezza -, mais Felona et Sorona sont en réalité deux planètes imaginaires, autour desquelles un concept fantastique s'articule, entre rêve et cauchemar. Clair et obscur, surtout, comme l'atmosphère de chacune des deux planètes, qui tend à s'inverser au fil de la musique.

L'oeuvre écrite par Tagliapietra, Pagliuca et le producteur Gian Piero Reverberi est pleinement maîtrisée, sans temps mort pour une fois et au contraire, d'une haute volée constante. Et comme toujours, au moyen de titres pourtant courts : trois minutes en moyenne, sauf l'ouverture "Sospesi nell'incredibile" qui dépasse les huit.

D'emblée, l'auditeur est transporté par le chant d'un Aldo Tagliapietra habité, jouant trois notes de basse syndicales mais les bonnes, tandis que Michi Dei Rossi varie son jeu au maximum, passant d'une intro sombre et vigoureuse, aux contretemps de la chanson, puis à une partie funk assaisonnée de thèmes mélancoliques, ouvertement prog. Pagliuca, à leurs côtés, assure des mélodies de grande qualité, quelques synthés zozotants aussi.

Sur "La solitudine di chi protegge il mondo", la voix lointaine et les descentes de piano cohabitent avec un fond de musique baroque. D'autres éléments cauchemardesques nous attendent sur "Attese inerte" (ce début !), sur "L'equilibrio", mais LE ORME, de façon savante et sans crier gare, balancent un rythme qui anticipe le disco sans dénaturer et enchaîne avec de la fusion.

Sur "Ritratto di un mattino", l'ombre et la lumière se confondent, entre les effets de synthés au début et la ballade glorieuse, quoique mélancolique, qui suit. Une mélodie simple qui fait mouche ! Le dernier instrumental de l'album, "Ritorno al Nulla" peut aussi aisément remporter les faveurs, avec des parties d'orgue imprégnées de musique slave, un Moog lyrique et une batterie en roulements pour un final très inspiré.

"Felona", ritournelle folk lumineuse avec accordéon et guitare acoustique, s'oppose à la complainte feutrée de "Sorona", deux morceaux courts qui ne sont pas de simples interludes. Pour le versant "gentil" et hérité du tube "Gioco di bimba", en moins JETHRO TULL-like, on a encore "All'infuori del tempo". En bref, des mets de choix, même si, pour couronner le tout, il manque peut-être un morceau à ambiance aussi hanté qu'on pouvait en trouver sur Uomo di Pezza et Collage. Pour le reste, c'est là un indispensable du prog transalpin, bien ancré dans les meilleures années du genre !