Plus les années passent et plus l'écart se creuse entre deux albums de BRAINTICKET. C'est ainsi qu'entre Voyage (1982) et Alchemic Universe, pas moins de 18 ans de musiques ont déjà coulé sous les ponts de la Suisse, pays d'adoption de Joël Vandroogenbroeck, leader et tête pensante du groupe depuis 1970, année de sa création, soit une éternité si l'on considère la décennie comme base représentative d'une génération. Deux générations ont eu le temps donc d'éclore depuis Voyage, et pas des moindres puisqu'entretemps ont explosé durant les années 80 la vague new-wave emportée par les SIMPLE MINDS et U2 et, dans les années 90, la génération grunge incarnée par l'icône fragile Kurt Cobain, leader de NIRVANA.
Il est évident que BRAINTICKET a disparu littéralement des mémoires à cette époque où le Krautrock n'appartient plus qu'à un passé révolu. Il n'est qu'à établir le parallèle avec un autre groupe mythique de la trempe de KRAFTWERK, devenu l'emblème académique qu'on connaît, une institution à part entière n'intéressant plus que les ministres de la culture, et ne produisant rien de neuf en terme d'aventures musicales.

Pourtant, Joël Vandroogenbroeck ne reste pas inactif durant cette longue période : travaillant avec des compagnies de danse, il compose pour l'occasion quelques musiques de ballets. Son contrat alimentaire avec Coloursound Library, de plus, l'amène à livrer une petite vingtaine d'albums solo qui paraissent tous au cours des années 80, plus précisément jusqu'en 1991, parmi lesquels figure en bonne place Biomechanoïd (1980), le préféré de Joël, à la pochette signée H. R Giger en personne, autant de musiques d'orientation new-age et electro, voire ambient ou néo-folk, que le label berlinois met à disposition des réalisateurs de films ou d'émissions télévisées en guise de bandes sonores pour des génériques ou accompagnements musicaux. C'est un travail lucratif bien qu'assez ingrat dans la mesure où les crédits ne mentionnent pas toujours le nom du compositeur, ce qui n'aide pas à flatter l'ego de l'artiste. Mais l'ego, Joël Vandroogenbroeck n'en a cure, lui qui a toujours privilégié sa liberté d'artiste au détriment du succès public que son groupe aurait mérité.
Comme cela se produit systématiquement au sein de BRAINTICKET, les musiciens à l'oeuvre du diptyque Adventure / Voyage ont ensuite quitté le navire pour se lancer dans d'autres projets au gré de leurs envies et des occasions. Et c'est ainsi que le groupe est demeuré une coquille vide pendant près de vingt ans.
Joël Vandroogenbroeck, qui n'est en rien un passéiste, n'a rien manqué de la révolution d'internet qui éclate au mi-temps des années 90. Il écoute ainsi la nouvelle génération de D.J qui intègrent l'ordinateur à leur panoplie d'instruments et de lecteurs, sans abandonner pour autant la bonne vieille platine vinyle, incomparable lorsqu'il s'agit de réaliser des scratches en direct. Le leader de BRAINTICKET fait la connaissance en Californie de Lance Bunda, un expert en rock qui n'ignore rien des oeuvres de son groupe dont il possède même la plupart des albums. Il n'en faut pas plus pour que le duo s'associe, avec la collaboration de quelques musiciens du cru, et enregistre sur place une session improvisée. Les membres étant alors réduits à deux, Joël peut exploiter ses talents de multi-instrumentistes en assumant les claviers et la flûte, Lance se chargeant des batteries programmées et des paroles ésotériques, à dominante spatiale, qui ponctuent occasionnellement certains passages des 8 titres enregistrés, comme à l'époque de Celestial Ocean (1973). Joël invite même à les rejoindre Carole Muriel, la multi-instrumentiste et récitante de l'album précité, dont il pense que la voix a toutes les chances de s'harmoniser avec les textes de Lance.

C'est encore une fois dans la spontanéité que s'élabore Alchemic Universe, album qui rassemble selon Joël diverses tendances musicales de l'époque, alors qu'il constitue à l'oreille du connaisseur de sa carrière une synthèse assez complète des styles que BRAINTICKET n'a eu de cesse de traverser depuis ses débuts en 1971 : le collage psychédélique avec les parties récitées de Carole Muriel ("Life's Mirror", la deuxième partie de"A Dreamer's Reflection" ), le jazz soft comme dans certains passages du progressif "Transformation of a Stream" ou de "A Dreamer's Reflection", ce dernier titre changeant régulièrement de ton et d'ambiances au long de ses 12 minutes, rêveries ambiantes mâtinées de folk ("Within Venus"), bruitages électroniques comme l'ouverture de "Alchemic Universe" où l'on pense de nouveau à Klaus SCHULZE, la suite empruntant la voie d'une electro-dance dans l'esprit chill out que l'on retrouve aussi dans "A Dreamer's Reflection", sans doute le titre le plus envoûtant du lot, assez proche des travaux du TANGERINE DREAM de la période Poland / Livemiles.
On note pour la première fois semble-t-il l'absence totale de guitare, ce qui confère à ce disque une identité purement électronique, probablement l'album le plus ambient de BRAINTICKET comme le démontre "The Subspace Between" aux relents vaguement évocateurs d'une ambiance à la Blade Runner.

Sans comporter la moindre faute de goût, Alchemic Universe, bien que varié dans ses climats et rappelant le voyage des morts cher à Celestial Ocean dans ses collages psychédéliques, ne parvient jamais à convaincre totalement, chaque titre comportant de bons passages et d'autres où l'ennui pointe vaguement son nez sans être rédhibitoire cependant. On peut apprécier cet opus, surtout après les vingt ans de silence du groupe, mais de là à y prendre véritablement son plaisir, il est un pas infinitésimal que nous ne franchirons pas. Cet album ne jurera pas dans votre discothèque Krautrock, mais vous aurez peu l'envie d'y retourner.

Note réelle : 2.5/5