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BRAINTICKET - Celestial Ocean (1973)
Par AIGLE BLANC le 14 Mai 2020          Consultée 843 fois

Malgré un album inaugural fort remarqué, mais ayant subi à son insu les déboires d'une publicité provocatrice lui fermant les portes de plusieurs pays dont les U.S.A, et en dépit d'un second opus plus accessible donc potentiellement plus vendeur, BRAINTICKET souffre du statut qui lui a été conféré de groupe de drogués non seulement vantant les charmes des paradis artificiels (dont ceux procurés par le LSD) mais déployant aussi une musique inclassable et par trop avant-gardiste. A peine terminées les sessions de Psychonaut que Joël Vandroogenbroeck brise le contrat le liant au label Durium (du nom des studios milanais où a été enregistré l'album), le leader de BRAINTICKET lui reprochant de ne pas avoir soutenu suffisamment l'album en négligeant notamment son budget publicitaire.

Le groupe, par conséquent libre sur le plan juridique, mène une existence insouciante à Rome, la capitale italienne reflétant en ce début des années soixante-dix une intense activité artistique autant que politique. Ville de contrastes, elle offre à Joël le loisir de remonter sur la scène de ses premières amours -le jazz- en officiant comme flûtiste aux côtés du batteur Pepito Pignatelli, en sus d'accompagner le fils de Mussolini, bon pianiste au demeurant.

Ses talents de multi-instrumentistes lui valent de participer à une pléiade d'enregistrements de la production italienne, notamment à celui de l'opéra pop Orfeo 9 (premier opéra rock italien de l'histoire), écrit et composé par Tito Schipa Jr (fils du célèbre ténor italien Tito Schipa), arrangé et orchestré par Bill CONTI (le cultissime compositeur des B.O de Rocky), au sein duquel il officie à l'orgue Hammond dans le propre studio milanais d'Ennio MORRICONE, le maestro exerçant alors son génie comme arrangeur chez la filiale italienne de la maison de disques RCA. Le directeur de la boîte, Franco Lamberto Fanti, fin connaisseur des deux albums de BRAINTICKET, voit dans le background avant-gardiste de Joël une opportunité pour développer le son progressif et space-rock pour lequel RCA l'a engagé. C'est ainsi que Joël devient à Rome un musicien de studio d'autant plus sollicité qu'il maîtrise entre autres le sitar, instrument pour lequel en Italie il n'a aucun concurrent, à l'exception non négligeable du fameux Alessandro Alessandroni, chef de choeur attitré et envié d'Ennio MORRICONE, et dont les sifflements sont devenus la marque distinctive des westerns italiens de Sergio Leone, et en particulier d'Il était une fois la révolution. Ainsi Mu, l'album de Ricardo COCCIANTE enregistré dans les studios de RCA, et très imbibé de l'esprit progressif émergeant en cette période, voit de même Joël crédité à la flûte, au piano et autres synthés.

Avec de telles expériences aptes à forger son professionnalisme, il n'est guère étonnant que Mr Fanti lui offre l'occasion d'enregistrer pour RCA le troisième opus de BRAINTICKET. Joël rebondit d'autant plus volontiers sur cette proposition inattendue que les deux premiers efforts studio de son groupe, Cottonwoodhill et Psychonaut, par leur caractère iconoclaste et avant-gardiste, avaient rencontré bien des difficultés pour convaincre une maison de disques de les enregistrer. Saisissant l'aubaine, il déniche dans Le Livre des Morts Egyptiens, sa lecture du moment, le nouveau concept dont il a besoin avant de se lancer dans la création d'un album. Ce Livre des Morts égyptiens est un recueil de formules (environ 190) inscrites sur des feuilles de papyrus, formules que l'on retrouve partiellement dans le tombeau des défunts égyptiens, parfois gravées sur les murs internes des pyramides. Il s'agit en fait du voyage qui accompagne le défunt dans sa nouvelle non-existence jusqu'à sa renaissance -sa remontée vers le jour.
A l'époque des hippies, où règne le psychédélisme, ce genre d'ouvrages sacrés et mythologiques suscite l'engouement de bien des artistes, et notamment du flûtiste et saxophoniste Nick Turner, membre épisodique du groupe HAWKWIND, qui lui consacre en 1976 une oeuvre entière intitulée Original Sounds From The Great Pyramid qu'il est allé enregistrer sur place, dans la chambre des rois de la grande pyramide de Giza, une immersion totale de laquelle découle une improvisation pour flûte solo bénéficiant de l'acoustique grandiose de la pyramide dans laquelle le flûtiste s'est immergé.

Séduit par le concept, RCA dépêche Gianni Grandis, son manager responsable du département 'progressif', à la production du futur album de BRAINTICKET. Grandis est l'homme de la situation qu'espérait tant le groupe de Joël. En tant que préposé au département 'progressif', il refuse de produire de la pop ou de la folk et laisse une entière liberté au groupe pour développer le son le plus psychédélique qui soit.
Entrent alors en studio les deux acolytes du précédent opus, Carole Muriel chargée des vocaux, du synthétiseur, des générateurs et de la cithare, et Barney Palm pour les vocaux, les percussions et le tabla, Joël se chargeant de tout le reste : claviers, guitare, synthétiseur, flûte et vocaux. Depuis Cottonwoodhill(fi] (1971), la formation se densifie, passant des 7 membres initiaux aux 6 membres de Psychonaut (1972) pour aboutir au trio précité de l'actuel Celestial Ocean (1974). Cela ne va pas sans provoquer la stupeur de RCA, surpris et inquiet de l'absence totale de guitare basse. Pas de quoi impressionner Joël convaincu que la basse sera favorablement remplacée par les sons graves du synthétiseur.
Ce resserrement progressif de la formation s'accompagne de même d'un allègement relatif de la masse sonore, centrée sur les claviers électroniques et les percussions originales de Barney Palm, non que les instruments électroniques ne soient pas joués à plein régime, mais ils sont maniés avec parcimonie, une certaine sobriété qui n'atténue en rien leur charge onirique.

Quand Psychonaut était davantage axé sur le format chansons, Celestial Ocean use des voix de façon totalement différente. Carole, Barney et Joël ne chantent pas, mais récitent des phrases ésotériques, échos aux formules sacrées du Livre des Morts sans doute, dont elles sont probablement extraites, à moins que ces sentences aient été conçues comme un pastiche des formules d'outre-tombe de l'Egypte ancienne. Ces voix disséminées dans l'espace sonore, quelquefois semblant jaillir d'un microphone leur conférant le statut de purs esprits des morts, entonnant sur un ton doctoral des vérités ésotériques, alignant des mots à la manière des collages surréalistes, ou doublant leur discours par une traduction simultanée du français à l'anglais, évoquent par leur caractère iconoclaste le VANGELIS rétro-futuriste de See You Later, album nettement postérieur puisque réalisé 6 ans plus tard.

Les vocaux jouent un rôle prépondérant dans les compositions signées du groupe lui-même, "Era of Technology", où les voix noyées dans l'espace sonore entremêlent de façon inextricable leur discours jusqu'à le rendre inaudible ; "To Another Universe", où une voix féminine s'adresse à nous comme le ferait une hôtesse de l'air au microphone, entonnant un compte à rebours sur un ton monocorde, tandis qu'une voix masculine récite des formules d'ordre scientifique sur un fond de percussions tribales survoltées ; "The Space Between" dont la seconde partie, constituée du même duo vocal, voit la voix masculine aligner des mots français que reprend en écho la voix féminine qui en donne la traduction anglaise.

Les titres composés par Joël seul sont tous de purs instrumentaux évoluant dans un territoire précurseur du new-age. Le court "Rainbow" dominé par des scintillements électroniques n'a de sens que comme introduction à "Era of Technology" et, à ce titre, ne figure pas parmi les moments marquants du disque. Quant à "Cosmic Wind", il déploie une rêverie teintée d'indouisme où se prélasse la flûte langoureuse de Joël et où brillent les arpèges contemplatifs de la cithare de Carole Muriel proche dans ses consonances de quelque harpe celtique, le tout rythmé par les accords disséminés d'une guitare acoustique échevelée. On pense alors fortement aux premiers travaux de POPOL VUH dans sa période Hosianna Mantra et Seligpreisung datant des deux années antérieures seulement. On retrouve cette ambiance de rêverie mystique dans le très beau "Jardins" co-composé par Joël et Carole. Le voyage se clôt avec "Visions" centré dans sa première partie sur un piano lumineux, le moment le plus délibérément classique du disque (on pense à Keith JARRETT), avant que le piano n'accélère modérément le rythme en un jazz-rock très voisin de certains plans de Keith EMERSON. Dans la dernière minute, le retour du leitmotiv au synthé et des voix entonnant le titre éponyme de la piste d'ouverture "Egyptian Kings" permet de boucler la boucle, un retour à la case départ en accord avec le cycle de la vie et de la mort.

Celestial Ocean remet en avant l'aspect expérimental de BRAINTICKET dans un mix harmonieux d'instruments acoustiques et électroniques. On ne l'écoute pas comme un recueil de chansons traditionnel, mais comme on feuilletterait un livre d'images. D'ailleurs, la première édition de l'album (chez RCA Italie) intègrait dans le livret du vinyle un atlas permettant de situer géographiquement l'étape du voyage synthétisé par chaque titre. Il offre donc l'expérience d'un trip aussi doux qu'agréable, qui donne envie de renouveler le voyage.

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   AIGLE BLANC

 
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- Joël Vandroogenbroeck (claviers, guitare, synthétiseur, flûte, vocaux)
- Carole Muriel (cithare, synthétiseur, générateurs, vocaux)
- Barney Palm (percussions, tabla, vocaux)


1. Egyptian Kings
2. Jardins
3. Rainbow
4. Era Of Technology
5. To Another Universe
6. The Space Between
7. Cosmic Wind
8. Visions



             



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