Alors que 7 longues années séparaient Celestial Ocean (1973) de Adventure (1980), troisième et quatrième efforts studio de BRAINTICKET, les deux années entre Adventure et Voyage (1982) sembleraient indiquer une accélération du rythme de production du groupe de Joël Vandroogenbroeck, impression sujette à caution si l'on en croit certains éléments des deux albums précités.
Tout d'abord, signalons la liste des musiciens : au clavinet et à la flûte, Joël Vandroogenbroeck bien entendu, seul membre permanent du groupe, Barney Palm aux percussions, Wilhelm Seefeldt et Hans Deyssenroth aux synthétiseurs et ordinateurs, soit la réplique exacte du groupe officiant dans Adventure. Ce qui ne présenterait aucune surprise de la part d'un groupe stable comme, disons, les BEATLES, s'avère une première dans le cas de BRAINTICKET dont les précédentes chroniques ont mis en évidence la géométrie variable des musiciens, d'un opus à l'autre, qui ne s'est jamais démentie durant sa carrière. Tout porte à croire au contraire que la musique proposée par Adventure et Voyage provienne en fait des mêmes sessions d'enregistrement, c'est-à-dire celles qui se sont déroulées en Suisse, à Büren, dans le studio personnel d'un ami. La pochette d'Adventure mentionnait la période d'enregistrement, de mai 1979 à janvier 1980, tandis que celle de Voyage n'indique que le 6 février sans préciser (volontairement ?) l'année. Et si lesdites sessions s'étaient étalées de mai '79 à février '80 ? Au terme de ces sessions improvisées, dans une démarche similaire à celle de la plupart des grands standards du jazz-rock d'Herbie HANCOCK, les membres du groupe ont dû se retrouver avec un grand nombre de compositions qu'ils ne pouvaient pas toutes retenir, sous peine d'être obligés de sortir un double-album, ce qui présente toujours un risque commercial certain.
Le problème, c'est qu'une écoute préalable des deux opus révèle inévitablement la source unique d'inspiration de leurs deux programmes respectifs. Dans le cadre d'un double-album, l'auditeur ne pourrait que louer l'indéniable cohérence de l'ensemble. Mais une fois Adventure et Voyage présentés comme deux opus distincts, que séparent de plus deux pleines années, cela devient gênant car leurs programmes s'avèrent interchangeables, tant du point de vue des musiciens et des instruments (ce sont les mêmes), que sur le plan formel, Adventure et Voyage offrant chacun deux longues plages comprises entre 16 et 20 minutes, dans la tradition de la Cosmic Music de TANGERINE DREAM ou de Klaus SCHULZE. D'ailleurs, le label américain Purple Pyramid Records n'a-t-il pas lui-même confondu les deux albums, lors des rééditions de 1997, dont il a interverti par mégarde les deux programmes ? N'est-ce pas la preuve ironique de leur parenté secrète ?
Si les deux galettes se valent musicalement, l'une d'elles souffre d'être redondante : si vous avez acquis Adventure, il n'est pas nécessaire que vous vous procuriez Voyage, et vice-versa dans le cas où vous auriez découvert initialement Voyage.

Voyage s'offre ainsi comme le frère jumeau d'Adventure, oscillant de la World Music au Jazz et du Jazz à l'Electronique. Le premier titre entame une étrange ambiance indonésienne qui se déploie sur 13 minutes sans réelle mélodie, où Joël Vandroogenbroeck poursuit ses expérimentations balinaises à coups de bambous s'entrechoquant au gré de l'action aléatoire du vent. Malgré la présence régulière des gongs et l'apparition progressive des synthétiseurs scintillants évoluant en une séquence de science-fiction, la composition flirte avec l'immobilisme. Les bambous impriment cependant un léger balancement qui confère une certaine fragilité à la structure d'ensemble. Sans la moindre originalité dans les sons électroniques, cette première partie fonctionne malgré l'impression générale que chaque musicien poursuit sa partition sans vraiment tenir compte de celle de ses partenaires. On note l'absence audacieuse de guitare, à l'exception de certains accords acoustiques que ne mentionne pas le livret, ce qui tendrait à nous faire penser qu'il s'agisse de sample ou d'un clavier jouant le rôle de la guitare. L'ultime segment redonne toute sa place à la flûte rêveuse de Joël Vandroogenbroeck qui se lance dans une improvisation stylistiquement voisine de celle de Udo Dennebourg dans le titre éponyme du Alpha Centauri de TANGERINE DREAM. Ce sont sur ses circonvolutions méditatives et sur des percussions primitives qui s'emballent que s'achève la face A de Voyage, les instruments s'interrompant brutalement comme chassés par le plongeon d'un corps dans l'eau, à la manière de l'ouverture du In Den Gärten Pharao de POPOL VUH.
Le titre 2 quant à lui fait entendre une guitare électrique qui se déploie dans une improvisation sympathique à défaut d'être passionnante, avant que les bambous n'emplissent de nouveau l'espace sonore, amorçant un retour à une ambiance abstraite en apesanteur dans laquelle se fondent les synthétiseurs et le clavinet. Il n'est pas toujours évident d'adhérer à certains passages au rythme lancinant et monotone, même si cela contribue au charme global de l'album et à son originalité.

Voyage est peut-être légèrement moins convaincant que son prédécesseur Adventure, mais il n'en constitue pas moins une expérience musicale intéressante quoique, encore une fois, légèrement anecdotique.