Le début des années 90 pour la sphère gothique et pour celles et ceux qui l'ont vécue a assurément laissé comme un arrière goût étrange en bouche. La créativité foisonnante de la décennie précédente semblait déjà bien lointaine et les prémices du tout dark électro en provenance d'outre-Rhin ne laissait vraiment rien présager de bon. Il y avait même cette désagréable et tenace sensation que les choses sur le plan qualitatif patinaient, voire régressaient, c'est dire. Passés rapidement de mode, mis de côté par le grand public, les mondes sombres pour ne pas disparaître corps et âme devaient essayer, si ce n'est de se réinventer, du moins proposer de temps à autres par petites touches des disques qui permettaient encore à ses fidèles d'y croire.

Les Américains de MEPHISTO WALZ avec cet album sorti sur le label CLEOPATRA qui, à l'époque, était encore prestigieux, ont incontestablement apporté en 1993 de très belles couleurs à une palette qui commençait à devenir terriblement terne. Terra Regina fait partie du haut du panier de ce groupe emmené par Bari-Bari, son talentueux leader. Ces treize titres sont en effet un parfait exemple de ce que peut-être un death-rock au caractère bien trempé, qui se permet même le luxe et l'insolence de s'aventurer sur des terres un peu moins classiques. MEPHISTO WALZ ne craint pas en effet dès l'introductif "Prologue" de proposer une pièce atmosphérique, lancinante, étrange qui convoque sensation aquatique et lourds claviers. C'est surprenant et réussi car on est déjà bien loin des ambiances des productions passées à l'image de la moiteur irriguant "Spoken Words" ou du plomb balancé en plein visage par le définitif "Staccotto".

Bari-Bari semble même vouloir prendre définitivement le contre-pied de ses auditeurs en exposant "A Gathering of Elementals", instrumental là encore qui ferait penser à un COCTEAU TWING gothique, où Christianna saupoudre de "dana, dana" aériens ces sombres ambiances laissant ici et là pourtant filtrer un peu de lumière. Noir, c'est noir, et il y a sans doute encore un peu d'espoir. Ces incartades singulières rendent les autres morceaux d'autant plus directs et frappants. Si MEPHISTO WALZ est tant apprécié par les fans de cette scène, c'est aussi et surtout grâce à sa qualité mélodique qui demeure une véritable signature. Bari-Bari n'a pas son pareil pour décocher des ambiances qui sous des aspects grinçants ne disent jamais non frontalement à une approche accueillante. Le classique "Aegis" toutes guitares en avant ou le gothique "Protecteur" avec son piano qui allège bigrement l'ensemble en sont de beaux exemples.

Comme toute production des Américains jusqu'en 2004, il faut également compter sur l'influence non négligeable de Christianna, pour moi La Voix de MEPHISTO WALZ à jamais synonyme de ses meilleures années créatives. Son timbre particuliers apporte indubitablement une couleur d'emblée reconnaissable. Elle se révèle aussi bien inquiétante ("It Is The Skin Of Night", courte pièce dans la lignée des BANSHEES) que totalement envoûtante (le classique death-pop "In The Room That Love Exists"). Certains la trouvent peut-être un peu dissonante, à l'image de "To The Schadows" qui, avec sa guitare affûtée comme une lame de rasoir, vous emmène dans d'étonnantes contrées. Adhésion ou rejet. La tiédeur ici n'a pas encore sa place. Ce qui pourrait avec pertinence synthétiser en définitive Terra Regina, c'est indubitablement le bien nommé "Epilogue". L'auditeur se retrouve troublé par cette sorte de magma sonore à la fois glaçant et aérien d'où émergent les mots de Christianna. Imparable et déstabilisant.

Ce disque démontre qu'il ne faut pas nécessairement désespérer d'une situation a priori en tout point critique. Même au creux de la vague, les mondes gothiques en 1993 pouvaient proposer des titres solides, variés et originaux à l'image du trop méconnu Terra Regina.