C'est lorsque l'on constate aujourd'hui un peu amèrement d'ailleurs la piètre qualité des dernières productions de MEPHISTO WALZ que l'on se dit maintenant qu'il est vraiment très urgent de revenir aux fondamentaux de ce groupe essentiel de la sphère gothique. En effet, à l'écoute des insipides Scoundrel (2017) et All These Winding Roads (2020), on peine à s'imaginer que Thalia est né du même compositeur, en l’occurrence de Bari-Bari qui était en ces temps prolifique et talentueux. Si j'étais taquin, je dirais même que le Californien est un performeur patient qui s'est donné pour mission d'année en année de détruire consciencieusement sa superbe Créature. Le mystère à ce jour demeure total quant à ses réelles intentions.

En 1995, à la sortie de Thalia, la déception n'avait pas lieu d'être. Bari-Bari était encore hors-sol, perché qu'il était sur son palmier de bord de mer. Évidemment, et c'est bien dommage, ces dix titres n'ont pas par essence vocation à se hisser à la tête des charts, mais MEPHISTO WALZ pratique un style qui mérite que l'on s'y attarde. Ce n'est pas "La Danse Des Canards", je vous l'accorde volontiers, mais leur écoute est sans doute moins éreintante que n'importe quel groupe d'indus ou de noise japonaise. La force des Américains est à l'évidence encore une fois cette qualité mélodique qui enveloppe chaque morceau. A ce titre, vous devriez donc leur laisser une petite chance de remonter un peu à la surface. On ne sait jamais, une douce lumière peut parfois transpercer l'obscurité.

Si cet attachant combo a eu dès le début de sa carrière un rapide capital sympathie, c'est aussi parce qu'il a eu le rare privilège de réussir à créer de suite une identité reconnaissable entre toutes. MEPHISTO WALZ, c'est donc un son unique porté par une voix des plus singulières. C'est l'alliance réussie des notes tranchantes de Bari-Bari et de la voix si particulière de Christianna. Les superbes "No Way Out" et "T-200 (Kokoro)" en sont la parfaite expression. La guitare aiguisée au possible est adoucie par Christianna qui semble survoler l'ensemble telle un ange noir. Si cette musique prend sa source aux origines d'un death-rock malsain, les Américains comme à leur habitude optent pour son versant le moins poisseux. Le seul morceau qui s'y rattachera sera naturellement le moite "The Hunter's Trail" qui avec sa guitare hachée et haletante rappellera les grandes heures de CHRISTIAN DEATH.

MEPHISTO WALZ s'il est le fils des Ténèbres n'en oublie pas pour autant Californie oblige de sortir les lunettes de soleil et la crème solaire. En effet, il suffit d'écouter le classique "Mephisto Waltz", une sorte de valse gothique soutenue par un clavecin-clavier pour se dire que le combo ne fait pas dans le sombre grossier et pompier par principe. L'auditeur est invité à rentrer dans cette danse qui n'est pas encore celle des fous. Il le fera d'autant plus volontiers que le groupe avec subtilité alterne moments dynamiques et instants plus atmosphériques. L'introductif "Along The March" nous met de suite dans le bain à tourments. Les roulements inquiétants qui accompagnent ce morceau comme au ralenti sculptent une belle pesanteur.

Bari-Bari à cette époque esquisse sans effort apparent de longues pièces particulièrement réussies. Ainsi "Euphrosyne" qui à travers une intraitable rythmique et une guitare acérée ferait totalement tourner la tête si elle n'était pas allégée par un salvateur piano. La force de MEPHISTO WALZ tient évidemment à la prestance de sa chanteuse. Christianna en déployant d'inquiétantes vocalise habite par exemple littéralement l'étrange "Thalia". Ce qui est aussi intéressant avec cet album, c'est que l'éventail sonore ne se restreint pas du tout aux canons du genre. Il ne faudra pas dès lors s'étonner que l'instrumental et quasi post-punk " A Precession Of The Equinoxes" toute basse énorme sortie côtoie sans aucune gêne "Aglaia At Auroras" qui ne craint pas lui une certaine forme d'expérimentation électronique.

Thalia est un grand album de musique sombre, ouvert et original. Il s'avère une parfaite introduction pour qui souhaiterait pousser avec bonheur la porte des univers gothiques.