Dans le brouillard matinal, les ombres se découpent comme si l’on avait incisé le paysage avec un couteau. Dans le gris épais, les façades colorées tranchent avec les ambiances fantomatiques. A Petty Harbour, petite ville de pêcheurs située à l’est de la grande île de Terre-Neuve, la mer rythme les journées et l’existence. L’Atlantique donne, l’Atlantique prend, et on lui doit quelques-uns des plus beaux airs musicaux conçus sur place ou ailleurs. Petty Harbour, c’est d’ici qu’Alan DOYLE, actif sur la scène musicale canadienne depuis 1993, notamment à travers le groupe culte GREAT BIG SEA, a levé l’ancre. Il y revient pourtant, souvent. Pour la famille, pour les paysages, pour créer. Car c’est bien à Petty Harbour qu’à été conçu et qu’est dédié ce nouvel EP du chanteur, dont la voix chaude est douce comme les prairies côtières, arpentées par les moutons. Loin de la violence du Ressac, Alan DOYLE propose une musique constituée de chansons mélancoliques, de la teneur de celles qu’interprètent souvent les marins-chanteurs alors que les premières lueurs franchissent l’horizon. Back To The Harbour, EP apaisé, accompagne l’enfilage du ciré, l’arrivée au port, le départ des navires vers le large.

Il y a beaucoup de mélancolie dans ce nouvel EP, composé pour moitié de reprises. « Back Home on the Island », initialement interprété par Ron Hynes, donne le ton. Un violon, une guitare et une voix. L’essentiel pour donner naissance à des ambiances porteuses d’un sentiment de douce fatalité. Sans se faire chroniqueur à la manière d’un Bruce SPRINGSTEEN, Alan DOYLE décrit des moments de vie, des sensations, des scènes quotidiennes, qui donnent du corps à la musique proposée. Parmi les compositions originales, « Into The Arms of Home », balade longue et intimiste, fait figure de chef-d’œuvre discret, présentant en sus des instruments précités un piano délicat. Il y ici une beauté mélodique désarmante, et une solennité certaine qui verrouillent l’attention. Impossible de se défaire de ce formidable morceau. Autre titre folk composé par l’artiste, « Back to the Harbour » voit Alan DOYLE partagé le micro avec son père pour un résultat très chargé en émotion. Ce titre autobiographique scelle la rencontre entre deux générations qui partagent ce même amour des mélodiques intemporelles, qu’elles soient ou non celtisantes. Dernière composition originale, « Dream of Home » perpétue la belle tradition des morceaux a cappella, nombreux dans le répertoire de GREAT BIG SEA. Le travail sur les harmonies vocales, essentiel pour ce genre d’interprétation, est ici très savoureux, et permet à ce morceau d’offrir une conclusion parfaite à l’EP.

Entre ces titres écrits de la main d’Alan DOYLE l’artiste propose quelques reprises intéressantes. Outre le « Back Home on the Island » précité, nous retrouvons le célèbre traditionnel « Leave Her Johnny », chant de marins du début du siècle, repris récemment par TRI YANN sous le titre « Vivre Johnny Vivre ». Dernière reprises, « Let it Be Me », titre initialement composé par Gilbert Bécaud sous le nom « Je t’appartiens » et popularisé dès la fin des années 50 en terres anglophones, notamment par les EVERLY BROTHERS. Ce romantisme plus « évident », qui tranche quelque peu avec les ambiances maritimes jusqu’alors prédominantes, prévaut grâce à un violon délicat, mais se fait sans doute le moins séduisant des six titres ici présentés.

Dans le brouillard vespéral, et alors que la nuit s’étend sur la ville, la chaude lumière d’un pub luit comme un phare dans la nuit. Attablés autour de quelques pintes, une poignée de musiciens, l’insularité chevillée au corps, chante l’océan, ce qu’il donne, ce qu’il prend. La vie, en somme.