Nous sommes en 1968, année pleine de turbulences aux Etats-Unis. En janvier, une offensive de l’armée nord-vietnamienne provoque de lourdes pertes pour l’US Army. Si certains pensaient que le conflit serait de courte durée, le pays doit revoir ses cartes. En mars, le Pasteur Martin Luther King est assassiné à Memphis, des émeutes se déclenchent dans tout le pays. En octobre, le Président Lyndon signe le Gun Control Act censé contrôler les ventes d’armes. Aujourd’hui, le résultat laisse sceptique.

A part toutes vicissitudes, John Andrew, Bob Arthur et George Rains, trois anciens membres des WIGS décident de quitter leur Texas natal pour répondre à l’appel de la Californie. Les trois Texans s’adjoignent les services de Tracy NELSON, de Powell St John, un autre Texan ayant brièvement tourné dans le giron de Janis JOPLIN, et enfin du claviériste Mark Naftalin (ex-Paul Butterfield Blues Band). La formation prend le nom de MOTHER EARTH et se fait les dents sur la scène de la Baie de San Francisco, propice en nouveaux talents. MOTHER EARTH se fait connaître via une première partie pour HENDRIX, JOPLIN et BURDON au Fillmore West. Le groupe connaît un regain de popularité en participant au documentaire "Revolution" de Jake O’ Connell. Le film s’intéresse au mouvement hippie californien, et si Country Joe & The Fish et As Of Cups se glissent dans le film, MOTHER EARTH peut se targuer d’apporter trois titres au générique du film, rejoignant ainsi Steve MILLER et QUICKSILVER MESSENGER SERVICE. Cette soudaine renommée attire l’attention de la firme Mercury qui les prend sous contrat. L’ensemble est confié à l’ingé-son Dan Healy, connu pour ses collaborations auprès des Charlatans et de GRATEFUL DEAD, et au producteur Barry Goldberg, un organiste touche à tout ancien membre d’Electric Flag. Cette paire étrangement bigarrée et pour tout dire mal assortie constitue une première épine pour le groupe.

Quand on évoque l’époque et l’endroit, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec festivité, grande assemblée amicale et usage éventuel de produits illicites. En découvrant la pochette, si la formation comptabilise six membres et un invité sous la forme d’un canidé, le visuel dorsal témoigne d’un nombre impressionnant de belligérants venus se greffer au gré des pistes. C’est ainsi qu’on retrouve le saxophoniste Martin Fierro (ex-James COTTON et futur équipier de Jerry GARCIA) obligé de s’occuper des arrangements de la section cuivre afin d’éviter un capharnaüm, le guitariste Mike BLOOMFIELD, mais aussi l’excellent Link Davis Jr, le percussionniste José Emilio Rodriguez III (ex- James COTTON) ou Spencer Perskin, violoniste du Shiva’s Headband, un groupe de Rock Psyché bien déjanté. Il semble bien que le chien assis aux pieds de Tracy Nelson ne figure sur la pochette que pour illustrer le titre, sinon aucun élément ne nous renseigne sur le répertoire.

On peut se demander si le sympathique ami à quatre pattes n’a pas hurlé à la mort en entendant le premier morceau "Marvel Group", une étrange compo' de Powell St John, hyper mal chantée par son auteur. Comment peut-on chanter aussi mal ? C’est bien simple, on croit que le garçon balbutie en gaélique. St John est le propriétaire de deux autres créations "Living With The Animals" dans lequel il témoigne qu’il est aussi médiocre harmoniciste que chanteur. Le titre s’éternise pendant presque cinq minutes dans une vague orientation de Blues Psy guère captivante. Notre maillon faible clôture le disque avec sa troisième chanson "The Kingdom Of Heaven (Is Within You)", un titre sur lequel il se montre égal à lui-même, mauvais du début à la fin. Malgré les efforts du trompettiste Luis Gasca et de Martin Fierro au sax et à la flûte, St John parvient à casser sa chanson à lui seul. On croirait entendre un mélange de KALEIDOSCOPE et de sous JETHRO TULL.
Tracy Nelson élabore de son côté deux titres : "Down So Low" prend sa source entre Gospel, Soul et Piano Blues. Si le chant évoque parfois celui d’une chanteuse d’église, avouons qu’il n’a rien de comparable avec celui de son équipier. Avec son titre à rallonge, "Good Night Nelda Grebe, The Telephone Company Has Cut Us Off" est le titre le plus court de l’album. S’il commence sous forme de Barrelhouse de type piano de bastringue, le saxophone tente vainement de nous emmener sur les bords de méandres psyché dont on a parfois bien du mal à saisir le pourquoi du comment.

Si le disque totalise cinq originaux, la moitié de la galette, les reprises se révèlent nettement plus convaincantes. "Mother Earth" ⃰, une compo de Memphis Slim et Lewis Simpkins, nous immerge dans les arcanes du Blues californien. Si le titre donne son nom au groupe, il permet surtout à la formation de tirer une première salve avec un brillant Mike BLOOMFIELD dont le jeu de guitare complète parfaitement les ivoires de Nelson. Si le titre aurait mérité d’être écourté d’au moins 100 secondes, il n’en constitue pas moins une excellente cover. Au Passage, on conseille également celle de Cyndi LAUPER. Les Américains ont la bonne idée d’explorer l’univers d’Allen Toussaint, grande figure de la Nouvelle Orléans avec "I Did My Part" ⸋. Là, le timbre de Tracy Nelson semble plus en phase avec le morceau et a moins tendance à partir en vrille. La présence des Earthettes aux chœurs contribue à apporter un peu de moelleux. Une version qui vient en juxtaposition de celle d’Irma THOMAS. Second emprunt à Toussaint avec "Cry On", chanté à l’origine par Irma Thomas, et là pour un peu la reprise nous semble pour le moins aussi bonne que l’original avec une Tracy Nelson excellente au micro. Autre bonne pioche avec "Won’t Be Long" °, compo de John Leslie McFarland pour Aretha FRANKLIN ; Tracy Nelson s’offre le plein de groove au piano, les volutes d’ivoires atténuant un timbre parfois trop strident. Une version selon nous bien plus palpitante que celles de PJ Proby ou STONEGROUND. Œuvre de Willie DIXON popularisée par Otis RUSH et Magic SAM, "My Love Will Never Die" aurait lui aussi mérité d’être raccourci d’une bonne minute, le chant de Powell St John finissant irrémédiablement par porter sur les nerfs.

Souvent catalogué comme formation de Rock Psy sous prétexte qu’il vient de San Francisco, MOTHER EARTH propose ici un premier disque qui s’inscrit plus dans le registre du Blues Psy. Les reprises souvent inusitées à l’époque nous paraissent largement plus intéressantes que les originaux. Mais on peut se demander pourquoi la formation s’est entêtée à garder Powell St John dans ses rangs. S’il est vrai que cet hurluberlu avait composé quelques titres pour Janis JOPLIN, les 13 th FLOORS ELEVATORS, Boz SCAGGS, le sieur Powell est très certainement l’un des plus mauvais chanteurs ayant sévi en Californie, le pire étant que le bonhomme se produit toujours de nos jours. Réédité en format CD en 2004 par Wounded Bird Records. Pour une meilleure cohérence, ce disque est classé dans le tiroir du Blues Rock.

⃰ Titre homonyme à ceux de Crass et The Sweet. C'est aussi le nom d'un groupe d'Acid Jazz anglais fondé en 1990.
⸋ Titre homonyme à celui de Randy Travis.
° Titre homonyme à celui des Beatles.