Second opus de MOTHER EARTH avec Make A Joyful Noise. Alors que le premier disque est déjà dans les bacs à soldes des disquaires américains, laline-up de MOTHER EARTH connaît quelques petits soubresauts : les claviéristes George Rains, Mark Naftalin (ce dernier rejoint Paul BUTTERFIELD) et le saxophoniste Martin Fiero quittent le groupe, remplacés par l’organiste Clayhorn Butler Cotton, le saxophoniste Ronald Stallings (ex-Mike Bloomfield et futur membre des News de Huey LEWIS), Révérend de son état, et le batteur Lonnie Castille qui part aussitôt après le disque pour rejoindre Janis JOPLIN. Autre arrivée avec Boz SCAGGS qui venait d’enregistrer son second album (un éponyme) avec la Muscle Shoals Rhythm Section, un disque qui ne se vendra pas.
Si ces noms n’évoquent pas grand-chose chez vous, c’est normal: hormis Scaggs, la plupart de ces musiciens tomberont bientôt au fond d’obscures oubliettes. En fait, on peut se demander si le plus gros changement n’est pas celui du canidé, le berger malinois du premier disque est remplacé par un bobtail.

Le groupe dans lequel Tracy NELSON prend de plus en plus d’importance propose ici un nouveau concept avec deux faces bien distinctes : l’une appelée "City Side", l’autre "Country Side". On pourrait imaginer que Mother EARTH nous propose une phase blues et une autre plus champêtre, la réalité est tout autre. Il semble que Mercury ait voulu apporter un pseudo cachet au disque. Nous devons cette pochette plus ou moins bucolique à Desmond Strobel, un graphiste attitré du label Mercury qui a signé plus d’une centaine de pochettes, hélas très souvent insignifiantes, la plus célèbre étant celle de Rumours de FLEETWOOD MAC. La pochette dorsale montre les six musiciens devant une baraque en bois supposée nous orienter vers une coloration country.
Le répertoire reste un peu dans le sillage du premier disque. Le groupe propose cinq originaux sur onze titres. Autre changement, le groupe a quitté le soleil de la Baie de San Francisco pour rejoindre Nashville. Enregistré au Music City Recorder Bradley’s Barn, une grange transformée en studio par Owen Bradley, icône du Nashville Sound, Make A Joyful Noise reste aussi marqué par l’intervention de nombreux invités, le plus connu étant Peter Drake, véritable légende de la pedal steel (c’est lui qui joue sur le "Lay Lady Lay" de DYLAN et sur "Stand By Your Man" de Tammy WYNETTE).

Deux originaux figurent en face A, stratégiquement placés en ouverture et fermeture. "Stop The Train" ⃰ lance le disque sur de bons rails en prenant une teinte Southern Rock parfumée d’un soupçon de Soul Funky, la section cuivre offrant un excellent contrepoint à la pedal steel de Drake. Mais la principale information demeure que le Révérend Stallings est bien meilleur chanteur que Powell St John (il ne pouvait en être autrement). Seconde compo avec "Blues For The Road", un Southern Blues patiné de rock encore chanté par Stallings. L’apport de Joe Arnold (ex-Mar-Keys) au saxophone apporte du moelleux au titre. Petite pépite d’Allen Toussaint chantée par Irma THOMAS, "What Are You Doing Now" aurait pu connaitre une plus grande notoriété si Lew Church, patron du label Imperial, y avait cru un temps soit peu. Là, Tracy NELSON, la section cuivre et les chœurs impulsent assez de peps pour nous envoyer au septième ciel. Bien que le titre ait été composé et enregistré par Little Willie John, le combo délivre un second clin d’œil à Irma Thomas avec "I Need Your Love So Bad", une tuerie de Deep Soul qui aurait largement mérité de figurer dans le panier des charts ricains s’il avait bénéficié d’une promotion digne de son rang. Si de nombreux artistes se sont fait les dents sur cette pépite (Solomon BURKE, James BROWN, FLEETWOOD MAC, B.B KING à plusieurs reprises jusqu’à Robert PALMER) personne hormis peut être Mable John ne peut prétendre pouvoir rivaliser avec la version de la reine de la Nouvelle Orléans. Là, Tracy Nelson nous délivre une version tout à fait acceptable, même si l’orgue ne parvient pas à diffuser la sonorité quasi céleste de la version d’Irma Thomas. Troisième piste s’inscrivant pleinement dans le domaine de la Soul, "Soul Of The Man", une compo d’Oliver Sain alors arrangeur et chef d’orchestre de Little Milton, demeure connue pour figurer en face B du hit "Rescue Me" de Fontella Bass gravé pour Checker. Le chant de Tracy Nelson pourrait presque faire bonne figure dans un gospel; le piano et la présence des Earthettes aux chœurs apportent une coloration religieuse.

Trois originaux et trois covers viennent agrémenter la face B. Powell St John a pris soin d’apporter dans ses valises trois de ses chansons. Pour notre plus grand bonheur, il ne chante pas sur "Come On And See" et se contente d’asséner quelques médiocres riffs d’harmonica sur ce Country Rock sans grand intérêt. Sur "Then I’ll Be Moving On", St John s’accroche comme un damné au micro. Si l’harmonica et la pedal steel administrent un solide décor country, le morceau demeure plombé par la faiblesse du chant. "I, The Fly" dernière compo de St John, fait illusion une quinzaine de secondes avant que notre chanteur s’empare du micro, tuant dans l’œuf la chanson. C’est dommage d’autant que l’assemblage des fiddles et de la flûte méritait un meilleur sort. Œuvre d’Hank WILLIAMS "You Win Again" a fait l’objet de 150 reprises souvent discutables. Tout ce qui porte stetson, bottes et colt 45 semble s’être ingénié à farcir la chanson d’une ambiance pathos. Si le violon de Johnny Gimble (ex-Shelton Brothers, Jimmie Davis, Bob Wills) l’un des meilleurs fiddlers texans et la pedal steel de Drake influent une sonorité country, le timbre de Tracy Nelson apporte une teinte beaucoup plus bluesy. Le violon et la pedal steel placent Tracy Nelson au diapason sur "I Wanna Be Your Mama Again", beau clin d’œil au Sir Douglas Quintet, groupe du regretté Doug Sahm. Contrairement à l’original, les grains Tex Mex sont gommés au profit d’une ballade Country Hippie. C’est une seconde compo d’Allen Toussaint encore chantée par Irma Thomas qui vient clore l’album avec "Wait, Wait, Wait". Si de nombreux invités viennent apporter leur grain de sel, la ballade garde une partie de son essence originelle, alors que les divers instruments à cordes parsèment le titre d’une ambiance Southern Blues.

Si de nombreux belligérants participent au disque, apportant leur obole, ce second disque nous parait largement plus cohérent que son prédécesseur. La production plus carrée et un répertoire conjuguant inusités et originaux sont de bons atouts. Mais il demeure indéniable que Tracy Nelson prend désormais les choses en mains. Ah que les grincheux se rassurent, il s’agit de la dernière présence de Powell St John, le maillon faible du groupe. Sans les trois titres de St John, le disque aurait atteint un petit 4. Du bon Country Rock à tendance bluesy. Le disque a été réédité en 2004 au format CD par Wounded Bird Records. Pour une meilleure visibilité, ce disque est classé dans la catégorie Country, le tiroir du Blues Rock aurait pu lui ouvrir ses portes.

⃰ Titre homonyme à celui de Peter Tosh.