Nous sommes en 1970 et MOTHER EARTH met en boîte son 3ème album, le dernier pour Mercury qui ne reconduira pas leur contrat. Il faut dire que Tracy NELSON a pris les rennes de l’attelage et s’est lancé dans une opération Nettoyage de Printemps. Hormis le guitariste John Andrews et la choriste Irma Routen, il ne reste plus personne des deux premiers disques, même le chien de la pochette a encore changé. Tracy n’a pas totalement coupé les ponts, Ben Keith au dobro et John Gimble, véritable légende vivante du fiddle, sont toujours là. Enfin, n’oublions pas le plus important, Powell St John a pris ses cliques et ses claques ou a été gentiment remercié, le maillon faible a disparu.
Le producteur Travis Rivers, lui aussi présent sur l’album précédent, prend les choses en main, ne se contentant plus de prendre quelques clichés pour illustrer la galette. Fervent admirateur de Tracy Nelson, Rivers fait appel à Richard Germinaro, un designer qui vient de concevoir des pochettes pour BLUE CHEER et Melba Moore. Une arrivée guère porteuse, le bonhomme se contentant d’une photo des membres prise dans une prairie ou un champ, photo centrée qui plus dans le visuel avant. Ce graphiste surcoté fera ensuite carrière chez ABC, un label qui n’a jamais trop compris que la musique ne se résume pas à des noms et des grilles comptables. Voilà comment le bon Richard aura massacré les clichés de Marshall Fallwell et Martin Dean. Le jeune producteur confie les consoles à Charles Talent un jeune ingé-son qui changera de métier dès la mise en boîte du disque, tandis que la partie arrangement est confiée au nouveau guitariste Bob Cardwell, un autre gars qui disparaîtra bientôt totalement des écrans radars.
Chers lecteurs, vous l’aurez compris à la lecture de ces modestes lignes, Mercury n’a pas mis les petits plats dans les grands, la firme n’attend plus rien de MOTHER EARTH, Tracy Nelson étant sur le point de signer un contrat d’embauche avec Reprise.

Après examen de la pochette, on se rend vite compte que les changements de line-up n’ont pas contribué à apporter de nouvelles compos. Sur les 8 pistes, on n’en trouve qu’une seule, ce qui fait maigre pour un troisième opus.
En ouverture, il faut tendre l’oreille pour reconnaître "Satisfied", un Country Gospel de Martha Carson composé au début des fifties, à destination de fans rigoristes qui critiquaient son récent divorce. Le titre sera repris par toute une pléiade de countrymen adeptes d’hosties et de grenouilles de bénitier ne lésinant pas sur le vin de messe. Si Lonnie MACK ou Ruth BROWN transformèrent la chanson en un honnête R&B, Tracy Nelson la métamorphose en un Country Rock Psy bien plus revitalisant. On garde une coloration similaire avec "Groovy Way", titre de Sam Taylor, un ancien équipier de Bob Cardwell, avec des effluves de Rock Psyché. Petit virage à 90 degrés avec "Get Out Of Here" ⃰, une obscurité de Buddy Charles plongeant au cœur d’un Blues Rock dans lequel l’orgue s’offre un excellent passage. Tracy Nelson s’avère quasiment céleste avec "Ruler Of My Heart", œuvre d’Allen Toussaint popularisée par Irma THOMAS, curieusement accrédité à N. Levell. Tracy Nelson peut s’appuyer sur l’orgue d’Andy McMahon, le fiddle de John Gimble et des chœurs qu’on croirait sortis d’une paroisse pentecôtiste. MOTHER EARTH réussit la gageure de faire fusionner Southern Gospel et Country Gospel. Pari gagné!

La face B s’ouvre avec l’unique compo issue de l’imagination de la chanteuse. Avec "Andy’s Song", Tracy Nelson n’a pas été chercher bien loin. Le titre évoque le pianiste organiste du groupe et débouche sur une ballade qui aurait gagné à être moins longue. Hit mineur du trident Holland/Dozier/Holland, "Take Me In Your Arms, Rock Me A Little While" a connu l'honneur des charts par le biais de Kim Weston. Titre caractéristique de l’écurie Motown, flirtant entre une Soul édulcorée et une Pop variétoche, il est ici transformé en un excellent Southern Blues Rock. Une version pleine de feeling qui relègue bien loin les reprises de Phil COLLINS et Jermaine JACKSON. Belle combinaison de Blues et de Rock sudiste, "You Won't Be Passing Here No More" se révèle vite envoûtante entre le jeu de guitare de John Andrews et un orgue terriblement churchy. L’album se termine avec "This Feeling" de Scotty Miller, batteur du groupe Instant Funk, un curieux mélange de Pop Jazzy avec un soupçon de bossa nova qui finit par perdre l’auditeur en route par sa longueur.

Ce disque demeure le moins bon des trois enregistrés pour la firme Mercury. Rien de bien surprenant alors que le groupe était en fin de contrat et victime d’incessants changements de personnels. Si Johnny Gimble ⸋, une icône du fiddle qui interrompit quelques temps sa carrière pour devenir coiffeur, est toujours aussi impliqué, l’album souffre d’un manque de composition et pour tout dire d’originalité. Si une moitié des huit titres s’oublie très rapidement, un manque de groove et une trame imprécise et bancale, à cheval entre Blues Rock Psy et Country Rock, sont en fin de compte loin de figurer comme carte maîtresse, bien au contraire. Malgré la qualité du chant, le bon jeu d’orgue et la présence de Johnny Gimble, cet album ne vaut pas plus d’un 2. Une déception par rapport à son prédécesseur.

⃰ Titre homonyme à ceux de BB King et Thin Lizzy.
⸋On peut voir Johnny Gimble dans le film "Honky Tonk Man" de Clint Eastwood.