Nous sommes en 1971, MOTHER EARTH vient de tomber dans la besace de Reprise, label fondé par Frank SINATRA et Dean MARTIN tombé lui-même dans l’escarcelle de Warner Bros. C’est souvent le cas en finance comme en musique : les plus gros mangent les petits. Pour MOTHER EARTH, c’est une bonne nouvelle, le groupe arrivait en fin de cycle chez Mercury, d’autant plus que le producteur Travis Rivers reste aux commandes.

Peu de changement par rapport aux disques précédents, si ce n’est qu’on a encore le droit à une pochette bucolique avec les cinq musiciens pris en photo dans un sous-bois entourant sagement Tracy NELSON. Autre changement, pas de canidé sur la pochette avant. Rassurez-vous, un bon petit corniaud figurant sur le visuel dorsal semble monter la garde.

Un examen rapide des accréditations nous apprend que la formation ne nous délivre qu’une compo par l’entremise de son chef de meute. Mais, contrairement à de nombreux concurrents, la formation a gardé son ossature principale et, comme tout bon producteur, Travis Rivers a mis la main sur de jeunes auteurs-compositeurs qui ne tarderont pas à faire parler d’eux. C’est ainsi qu’Eric Kaz, un ancien membre des Blues Magoos, leur apporte quatre chansons avec en point d’orgue "Temptation Took Control Of Me And I Fell", un superbe Southern Rock teinté de Blues. Rien de surprenant quand on sait qu’adolescent Kaz composait pour Memphis SLIM. Si l’assemblage des différents instruments, des arrangements bluesy et des chœurs bourrés de groove constitue de beaux atouts, c’est encore une fois le timbre passionné de Tracy Nelson qui fait la différence. Cette petite pépite sera reprise par son créateur un an plus tard, tandis que le saxophoniste Robin Kenyatta en délivrera en 73 un instrumental surprenant épaulé par plusieurs musiciens de Kingston. Plus de trente ans après, Kelley Hunt reprenait la chanson dans une tendance Americana qui vaut le détour. Parmi les autres friandises apportées par Kaz, "There Is No End" pourrait se situer à mi-chemin de Linda Ronstadt et Bonie Raitt. "Tonight The Sky’s About To Cry", titre des Blues Magoos, prend ici une tournure pleine de mélancolie. Dernier apport d’Eric Kaz avec "Deliver Me" ⃰, un Country Rock placé en clôture d’album se situant un cran au-dessous de ses autres collaborations.
Le groupe reprend "I’ll Be Long Gone" de Boz SCAGGS, ancien équipier de Steve MILLER, un Rock au parfum Psyché dans lequel les claviers sont prédominants. Contrairement à l’original ou à la reprise de COLD BLOOD, aucun cuivre ne vient apporter son grain de sel. Travis Rivers aurait suggéré à ses poulains de reprendre "Lo And Behold", un Folk de James TAYLOR qui oscille ici entre Folk et Rock Psy avec des choristes qui n’hésitent pas à envoyer la sauce. On apprécie au passage le phrasé de Ben Keith au dobro. Si "Bring Me Home", une compo de l’harmoniciste Jeffrey Carp, donne son nom au disque, on peut être surpris par le choix, tant ce Country Rock Psy brouillon ne parvient jamais à accrocher l’oreille. Bonne trouvaille avec "Seven Bridge Road", hit de Steve Young, excellent songwriter navigant entre Outlaw, Folk et Country Alternative. Si la chanson connaîtra le bonheur des classements américains en 1980 via une version Live des EAGLES, MOTHER EARTH s’en sort diablement bien. Tracy Nelson se révèle formidablement impliquée, à la croisée du chant Folk et du Country Gospel, la cohésion et la complémentarité des guitares, l’apport de la pedal steel de John Day et la présence des Earthettes (troupe de choristes dirigée par Irma Routen) constituent un grand plus. Terminons ce rapide panorama avec la seule et unique composition : "Soul Of Sadness" se révèle une excellente combinaison de Soul Sudiste et de Gospel. Pour un peu, on pourrait croire que la chanson provient d’une session gravée à Muscle Shoals. L’orgue et le piano instaurent un climat céleste tandis que la voix de Tracy Nelson se fait délicieusement churchy. Le meilleur titre de la galette avec les deux pistes d’ouverture et le "Seven Bridge Road" de Steve Young.

Enregistré à Nashville dans les studios de Jack Clement et mixé à Los Angeles, Bring Me Home constitue un bon disque flirtant entre Country Rock Psyché et Blues Rock et met en avant la chanteuse Tracy Nelson qui n’allait pas tarder à s’envoler pour une carrière solo. On regrette juste les trois/quatre titres plus faibles qui nuisent à la note finale. Ce disque est rangé dans la catégorie du Country Rock, mais il aurait pu figurer sur l’étagère du Blues Rock.

⃰ Titre homonymes à ceux des EVERLY BROTHERS et des BELOVED.