Nous sommes en 1966, le torchon brûle de plus en plus entre Slim HARPO et le producteur J.D. Miller. Entre la sortie de son premier disque et celle de Baby Scratch My Back, cinq ans ont passé▪. Le guitariste n’a vu que sept singles apparaître dans les bacs des disquaires. Pour subvenir aux besoins de sa famille, le bluesman compte avant tout sur sa petite entreprise de camionnage et sur les concerts qu’il donne dans toute la Louisiane.
Les sessions dans les studios de Crowley demeurent peu nombreuses. Entre septembre 1963 et février 1966, Slim n’a participé qu’à six ridicules sessions. Mais le succès du single "Baby Scratch My Back" va quelque peu changer la donne et il est temps : HARPO qui joue depuis plus de deux ans avec un orchestre régulier songe à changer de crèmerie. Ce sentiment d’inconfort permanent est accentué par le peu de royalties versées par le label Excello. C’est donc suite au succès du single qui atteint la 16ème place du Hot 100 que Miller décide qu’il est temps de sortir un album afin de surfer sur la vague. Une tentative couronnée d'une certaine réussite, d‘autant plus que "Shake Your Hips" aussi connu sous le titre "Hip Shake" connaît lui aussi une percée dans les classements.

Pourtant, sa pochette bariolée de traits verts et jaune citron avec le nom de Slim HARPO écrit en gras et en noir n'est pas vraiment des plus porteuses. Le disque connaît cependant une étonnante montée en puissance par l’entremise de groupes de Blues et de Rock européens qui reprennent certains titres de James Moore. Si "Scratch My Back" figurait en bonne place dans The Soul Album d’Otis REDDING, d’autres reprises verront le jour : "Shake Your Hips" par Love Sculpture de Dave Edmunds et The ROLLING STONES, "Rainin’ My Heart" repris par Dorsey BURNETTE connaissant la consécration en Europe via les PRETTY THINGS.

Ce second disque s’articule tout simplement autour de l’incorporation des faces A et B de cinq singles (Excello 2239-2246-2253- 2273 et 2278) auxquelles on a ajouté "I Love The Life (I’m Livin’)" et "Sittin’ Here Wondering" baptisé ici "Wondering Blues". Soit 12 titres enregistrés entre septembre 63 et février 1966.
Le disque s’ouvre sur un appel du pied au plaisir du sexe avec "Shake Your Hips". Posé sur une rythmique aussi minimaliste qu’obsédante, quelques riffs d’harmonica et de courtes notes de guitares, le morceau se déguste également comme une invitation à la danse. Bien sûr, le morceau connait une grande notoriété mondiale via la reprise des STONES dans Exile On Main St.. D’autres reprennent le titre avec une certaine verve (Joan OSBORNE, The NIGHTPORTERS, Big Town Playboys de Mike Sanchez, Billy Boy Arnold ou plus récemment Bob Corritore), mais les amateurs de Swamp préfèreront la version originale saisissante de simplicité et de groove.
Second titre se classant dans les charts, "Baby Scratch My Back" dans lequel HARPO invite sa belle à entrer dans l’eau du bain pour lui gratter le dos est une petite pépite de Swamp dans la même lignée que le précédent mais avec un humour parfois grivois. Si Frank FROST reprend le titre à la fin des eighties, il a également composé "My Back Scratcher" une réponse qui rend hommage à son concurrent et ami. D’autres représentants du Swamp ajoutent cet intemporel à leur répertoire : Clarence EDWARDS, Lazy LESTER, Tony Joe WHITE ou Kenny Neal. On se rappelle aussi les essais des YARDBIRDS ou des FABULOUS THUNDERBIRDS, offrant de belles transformations.
Parmi les titres bien connus, Miller nous refourgue "Still Rainin’ In My Heart" ⃰ cette fois-ci dans une toute nouvelle version (la 3ème), le parfait prototype de la ballade louisianaise. Si la première version a atteint la 34ème place du Hot 100, le titre connait encore de multiples reprises. Dix mois après le décès de Slim HARPO, Hank Williams Jr. rend hommage au bluesman en reprenant le morceau dans un registre de ballade Country qui se classe à la 3ème place des charts Country. Repris près d’une quarantaine de fois, on conseille les versions de James COTTON ou celle des CRAWDADDYS ; à contrario, il convient d’éviter celles de Tom JONES et de Jerry Lee LEWIS.

Le disque réserve plein de bonnes pioches. L’ambigu "Midnight Blues" parvient à se maintenir entre la ballade louisianaise et un shuffle proche du style Western. Avec son martelage de caisse claire et son harmonica strident, l’instrumental "Buzzin’" rappelle le répertoire de Lonesome SUNDOWN, avec un tempo pas très éloigné du Rockab' louisianais.
"My Little Queen Bee", probablement écrit avec son épouse Lovelle Moore, reprend tous les ingrédients du Swamp Blues : rythmique squelettique, quelques riffs de guitare et d’harmonica qui par leur simplicité vous rentrent dans la tête pour ne plus en sortir et un humour débridé bon enfant. Même impression avec "We’re Two Of A Kind". La ballade fait partie intégrante du registre Swamp. "I Love The Life I’m Living" s’inscrit résolument dans cette lignée.
Mais le guitariste peut aussi se montrer brillant sur d’authentiques Blues, l’intense "Wonderin’ Blues" et "Harpo’s Blues" en sont les plus beaux exemples. Le guitariste est également à l’aise sur des pièces Blues plus rurales. "I’m Gonna Miss You (Like The Devil)" se rapproche nettement du répertoire de Lightnin’ Slim, son beau-frère. Tracy NELSON, Ron Hacker & The Hacksaws, le trio français The Honeymen ou bien Harmonica Shah en délivrent des ogives valant le détour. Le disque se termine sur une note dynamique avec "I Need Money (Keep Your Alibis)", un vrai Rock' n' Roll dans lequel le saxophone de Willie Parker apporte une touche New Orleans des plus festives. Rarement reprise, cette dernière pièce fait l’objet d’excellentes covers via le trio français MERCY BLUES BAND et Lazy LESTER.

Ce disque fait partie des incontournables productions liées au Swamp Blues. Douze faces pleines de Peps, d’humour, de tendresse et de groove, et ce quel que soit le tempo. Le disque est réédité avec une pochette totalement différente par le label anglais Flyright sous le titre Shake Your Hips. En 1993, le label nippon P. Vine réédite la galette en format CD. Aujourd’hui, le premier pressage avec la rondelle orange se négocie entre 140 et 280 € selon l’état. Un disque sans aucune pièce faible et plein de fraîcheur.

▪ En 1964, Excello a publié "A Long Drink Of Blues", une compilation regroupant six titres de Slim HARPO et autant de Lightnin’ Slim.
⃰ Titre homonyme à celui du couple Felice/Boudleaux Bryant chanté par Buddy Holly.