Le disque numéro 11 reste au niveau le plus faible parmi tout ce que ce coffret génialissime peut proposer. Pour cette sélection de Chansons à Danser, les notes de Marc ROBINE expliquent le schéma de l'esprit de danse et de fête à travers les siècles. Très collectif d'abord et pendant très longtemps, car rattaché à une forme d'existence païenne avec célébration des éléments de la nature, donc cercles, rondes etc. La danse s'est ensuite vu attribuer un caractère de performance, avec l'idée du meilleur danseur etc. Jusqu'au XVIIIème siècle environ avec les quadrilles et autres pas anglais ou contredanses (équivalent de 'countrydances') françaises, ces moments gardaient en toutes circonstances une forme collective.

À partir du XIXème siècle et le développement du peuple, de la famille face à l'Etat et au clergé, on se 'ferme' et s'éloigne petit à petit du groupe avec un rapprochement de l'homme et de la femme qui, retenu 'de bon aloi' au départ, le sera de moins en moins au cours des deux cents années suivantes. Robine mentionne même l'émergence des discothèques modernes et de la danse accomplie seul désormais, parfois pas sur le même morceau que les autres (pour ceux qui ont un casque sur les oreilles) ! L'évolution de la danse à travers les âges est aussi un peu celle de la société.

Avec "La caille", la sélection débute sur un trois temps médiéval en bonne et due forme, cromorne, mandoline et tambourins à l'appui. Le chant à réponses et l'accent du Sud-Ouest (pour un traditionnel du Rouergue, ancienne région correspondant au département de l'Aveyron et une petite partie du Tarn-et-Garonne) sont deux éléments importants qui définissent les orientations musicales de ce disque. Bernard INDEAU est l'ingénieur du son du studio des Collines situé à Hautefort (est du département de la Dordogne), on le retrouve également plus loin sur la bourrée "Les filles de Saint-Chély".

Plus que les autres disques, celui-ci revêt un air de grand bal folk ; ne manquent que les annonces de ce que sera le type de danse chantée au début de chaque titre, afin que le public puisse se préparer ! Bal folk dit musique instrumentale avec un fort degré typique (certains diraient 'crin-crin' : violon, vielle à roue...) mais aussi, suivant la logique du coffret, beaucoup de chants et souvent a-cappella, la voix demeurant la première musique de l'histoire humaine, dont la plupart des plus démunis peuvent au moins disposer.

Bien ancrées dans la terre, les paysanneries "Reviens-t'en Yaum !", "J'ai un oiseau qui vole", "Ma mère malhabile", "Baise-moi si je m'en irai", "D'où venez-vous ? Promenez-vous", tous ronds ou branles ainsi que le pilé-menu (centre-breton) "Le pauvre Jean, la, la..." sont réalisés en polyphonies vocales, chant et contrechants, parfois très répétitifs et sur plusieurs minutes. Quoique bien exécuté par les chanteurs du groupe MÉLUSINE en particulier, le tout peut s'avérer monotone, si l'on ajoute la construction de nombreuses paroles, débutant leur histoire au chiffre dix et baissant jusqu'à un au fil de chaque couplet. Le morceau de ce genre resté le plus célèbre, à savoir "La jument de Michao", est naturellement absent !

De Bretagne, on goûte mieux aux échanges entre Michel HINDENOCH et Gabriel YACOUB sur "Par un beau clair de lune", un hanter-dro (trois temps du pays de Vannes) contant une histoire triste de fille aimée par un galant qui en vient à se noyer. Plusieurs autres titres viennent des régions centrales et notamment le Berry (Cher, Indre, rognant un peu autour, notamment la Creuse ou l'Allier). Gabriel YACOUB, résidant là depuis des années, aurait pu se mettre à l'avant pour ce disque, mais non ! À la fois galant et grivois, "La rose et le rosier" réunit les deux Marc ROBINE et OGERET ainsi que Jean Blanchard (LA BAMBOCHE). Et l'une des merveilles de la région, c'est-à-dire la voix de Yannick GUILLOUX, offre une solide touche féminine à ce disque, seule ou aux côtés de Sylvie BERGER ("Derrière chez nous, le rossignol y chante", "La rose blanche").

Mais comme on le disait, l'orientation de ce disque aux chansons sans âge pour la plupart demeure très "Sud", Est ou Ouest. Retenons "Les filles de Saint-Martin" originaire de l'Isère, scabreux et allant jusqu'à mentionner les maladies vénériennes ! "A l'entour du moulin" (Pyrénées) pour sa séduction envers une meunière farouche d'abord, mais le troussage finit par amener le 'petit oiseau' qui sort de la cage au bout de neuf mois ! Jean-Luc MADIER propose un "Bonjour, maître médecin !" plus moderne dans son arrangement qui évoque les Antilles ou les pays latins, en jouant fortement sur l'accent béarnais.

Le rigodon "Pauvre Gramuse !" chanté dans les Hautes-Alpes se rapproche de la country, avec beaucoup de place accordée aux violon et accordéon. Difficile enfin d'éviter "Jean Petit", comptine-berceuse célébrissime originaire du Languedoc au XVIIIème siècle, typiquement occitane dans le rythme et qui prend des atours de chanson royale. Il en existe de nombreuses versions, mais celle de MADIER se laisse fort bien écouter. Cependant, mis à part les interventions féminines (Michèle BERNARD comprise) et une poignée de titres au masculin, encore une fois le présent disque se retient moins que d'autres.

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Il n'est pas de chanson française sans chansons pour les enfants. Les textes et les mélodies sont associés au développement de l'enfant depuis son plus jeune âge avec des intentions didactiques, moralistes etc ou alors propices à favoriser son imagination, lui raconter des histoires. Les enfants à qui certaines chansons plaisent peuvent garder celles-ci en eux toute leur vie. Autre phénomène de longévité lié à l'enfance : celui des chansons traditionnelles, encore susceptibles de résonner au moment de jouer ou de s'endormir, transmises aisément et de façon large, y compris à une époque moderne où la musique pour adultes s'éloigne facilement de la spontanéité et de l'innocence.

Qui dit chansons pour enfants sur disque dit forcément Anne SYLVESTRE. Certes, d'autres femmes musiciennes ont entonné des refrains pour le plus jeune public, comptines, chansons délirantes ou bien tendres. Mais la Lyonnaise s'est rendue célèbre depuis la fin des années 60 grâce à ses Fabulettes, leur ayant consacré un bon nombre de disques souvent reconnus de façon positive par la critique. Il est normal de la retrouver ici, même si ce n'est que pour deux titres ! "Nous n'irons plus au bois" est plus que célèbre, mais chantée par Anne SYLVESTRE, c'est d'un charme indéniable, d'une grande chaleur. Elle a de plus Emmanuel Pariselle pour l'accompagner à l'accordéon, et les deux filles de ce dernier, Sophie et Mélody.

Ces deux demoiselles sont les chanteuses principales du disque, Sophie étant un peu plus âgée. Il y a aussi parmi les enfants des personnalités qui façonnent le coffret, Coline Yacoub et, pour un seul morceau, Kevin Robine. De quoi redécouvrir avec grande sympathie (arrangements médiévaux, dulcimer frappé etc.) les intemporels "Savez-vous planter les choux ?", "Une souris verte". 'Papa' Marc ROBINE se réserve "Frère Jacques" dans une version jazz manouche avec cloches tubulaires jouées par Gabriel YACOUB et flûte de Youenn Le Berre (GWENDAL), ainsi que "Les compagnons de la Marjolaine" (traditionnel d'Île-de-France). Cette dernière, chanson de milice bourgeoise nocturne au XVIème siècle, est réellement superbe, intense, jouée en mode country mineur, banjo à l'appui.

Chansons faites de mélodies simples et de textes répétitifs, mais qui n'ont rien à envier à ceux des grands, et peuvent se chanter en choeur. Ainsi, "La tricotée" empruntée au répertoire du XVème siècle, que Gabriel YACOUB avait déjà reprise dans son premier album solo Trad. Arr. en 1978, laissant cette fois sa fille Coline diriger la ronde, petite merveille de chants féminins avec aussi Sylvie BERGER ainsi que Bénédicte LECROART (voix de Belle dans DISNEY !). Chansons parfois exigeantes malgré tout comme "Ah ! Tu sortiras biquette !", faite d'enchaînements et retours (Biquette ne veut pas sortir du chou, le chien ne veut pas mordre Biquette, le loup ne veut pas mordre le chien etc.). En toute spontanéité, Sophie Pariselle ne peut éviter le faux pas sur un tel rythme en 'oubliant' certaines paroles ; ce qui n'enlève rien à son niveau tout à fait honorable ! Sa petite soeur Mélody fait les choeurs pour des phrases plus simples.

Aux côtés de "Le furet" et de "Fais dodo, Colas mon p'tit frère" (chanté par la voix grave et éraillée de Marc OGERET, bien loin de son répertoire habituel !), on apprécie grandement le mignon "Petit bossu", "Les mensonges" en tarentelle chantée par Michel HINDENOCH, ou encore Gabriel YACOUB dans un registre presque blues pour l'histoire de "Jean de la lune" depuis la naissance jusqu'à la mort, au texte simple mais très imagé. Moment très enchanteur et pourtant des plus courants avec l'apprentissage de l'alphabet à l'époque baroque (réarrangé par MOZART), interprété par Coline YACOUB soutenue par trois magnifiques chanteuses (Yannick GUILLOUX, Michèle BERNARD et Emmanuelle PARRENIN) avec des intonations un brin lyriques.

Ce disque est un petit bijou réussi de bout en bout, malgré une ou deux interprétations moins marquantes comme "Les dents" en polyphonie vocale masculine longue comparé à celles du disque 11 (Chansons à Danser), ou alors "Sardines et crocodiles" par le groupe LA CHIFFONNIE avec ses bruits d'animaux (poules, essentiellement). Avec "Le petit homme", la sélection propose une rare mélodie du pays niçois (ou nissard comme on disait alors) sur un ton plus militaire par le COROU DE BERRA, polyphonie de chanteurs musicologues spécialistes des rencontres culturelles dans les Alpes du Sud.

Non loin de là, en Provence, "Sainte Marguerite" chantée par Jacky BARDOT prouve combien une berceuse peut dire long en très peu de temps (une minute) : "Sainte Marguerite, endormez-la jusqu'à quinze ans, car après, elle devra se marier !". Autre moment similaire très fort dans le Berry avec Catherine PERRIER seule dans le silence feutré de la nuit. On aime aussi la gaieté de "Bonjour ma cousine !", rencontre entre 'cousins' par Chantal GRIMM et Marc ROBINE, ce dernier pensant qu'elle l'aime d'amour et en fait ce n'est pas le cas, leurs chemins se séparant alors. Un modèle d'album pour enfants comme celui-ci est décidément à prendre au sérieux !