Un thème bien particulier que la chanson militaire, vieux comme le monde et, pour la France, comme la quasi entièreté de son histoire telle qu'elle fut écrite jusqu'à 1945, avec un nombre de conflits très important, externes comme internes. Le CD 5 du coffret supervisé par Marc ROBINE propose de découvrir cet univers (dont Erwin a eu l'occasion de parler déjà très généreusement, avec sa collection de disques de chants des armées). Une riche idée tant on sait déjà ce que l'on peut avoir avec notre connaissance des volumes précédents, d'un point de vue résultat, musical etc. La chanson de soldats est à son tour propice à se laisser mieux apprécier d'un public profane.

Si on a forcément en tête le caractère martial (tambours, trompettes et sifflements inclus) qui accompagne en rythme l'entraînement ainsi que les kilomètres tout aussi éprouvants et dirigés vers une possible mort dans tout le pays ou l'Europe (pour ne pas dire plus), Marc ROBINE rappelle à juste titre que les chansons militaires ne sont pas faites que de cela. Comme il n'y a pas que la louange à la discipline et à la guerre (forcée ou non selon le tempérament du soldat), on peut trouver des chansons critiques voire de désertion : évidemment pas ou rarement de celles entonnées par la troupe sous les yeux des officiers !

Beaucoup de nostalgie peut hanter un certain nombre de complaintes, depuis le tirage au sort qui bouleverse sept années de vie d'un homme jusqu'au retour du conscrit miné par cette période dans un univers auquel il n'appartient plus parfois (rappelons qu'outre-Atlantique, Bruce SPRINGSTEEN a fait de cette idée une des chansons les plus célèbres au monde avec "Born in the U.S.A."), en passant bien sûr par la peur et autres sentiments de révolte (colère, tristesse) au front.

Ce disque est l'un des plus réussis du coffret, pourtant, celui d'un album très masculin, avec très peu de place pour la gente féminine ! Des chants solistes ou en polyphonie, comme toujours, ROBINE très présent secondé par Gabriel YACOUB et Emmanuel Pariselle, ainsi que d'autres intervenants qui se sont prêtés avec bonheur à la plupart des disques de l'expérience : Jacky Bardot, Jean Blanchard, Hal Collomb... Peu de chansons ici sont réellement connues du grand public, mis à part "Trois jeunes tambours", datée du XVIIIème siècle ainsi que "Quand/La Madelon", serveuse emblématique qui apportait un peu de comique et de légèreté grivoise aux soldats et 'Poilus' de la Première Guerre Mondiale.

Cette dernière, un peu plus représentée sur ce disque que les autres, nous montre, comme c'était le cas de "La chanson de Craonne" (CD 2), que les auteurs aimaient alors détourner des airs populaires. "Sous les ponts de Paris" devient ainsi "Dans les tranchées de Lagny" (commune du centre Picardie) interprétée par Francis LEMARQUE, à la carrière très importante et reconnue, quoique discrète. Né en 1917 (mort en 2002), sa présence n'en est que plus forte. Pendant ce temps, dans la capitale, les chansonniers comme Aristide BRUANT mêlent leur verbiage des rues pavées pour des airs martiaux ou traditionnels (tziganes en particulier) afin de critiquer la guerre ou les infrastructures comme le bagne, en l'occurrence Biribi, terme générique désignant tous les chantiers d'Afrique du Nord.

Les autres chansons nous font faire le tour de France à différentes époques. Certaines, au début du disque notamment, s'attardent sur le tirage au sort, l'adieu à la famille, au pays, à la femme aimée. "Le conscrit de 1810", par Alain CHARRIÉ à la voix haute perchée, vient des plateaux du Languedoc, tandis que "La tempête" trouve ses racines en Anjou. Sur une mélodie de musette mélancolique et très belle, ROBINE y entonne, YACOUB en choeur, des paroles caractéristiques du soldat ayant tiré le mauvais numéro et conscient de son avenir : Nous aurons pour récompense quelques boulets de canon qui nous briseront les membres/Nous servirons de gazon...

Par Michel HINDENOCH, les Bourguignons s'adressent à leurs cousins Picards avec cynisme : le vin n'est jamais très loin des considérations, guère plus que les vielles, cromornes et flûtes à bec en 1400 et quelques. De la même époque, Yvon Guilcher (MELUSINE) et Denis GASSER forment le splendide contrepoint vocal de "L'homme armé". Plus tard au XVIIème siècle, résonne le guilleret "Villa de Chambéry", la cité des chasseurs alpins et d'une importante cavalerie. "Le conseil de guerre", fort bien chanté par ROBINE sur fond de tambour et d'harmonica qui reprend la mélodie, arrive à point nommé après "Soldat par chagrin", où Jean Blanchard (LA BAMBOCHE) conte l'histoire d'un homme refusé par la femme qu'il aimait et qui, de dépit, tue son capitaine !

Une fois la période des sept ans règlementaires terminée, le conscrit revient, et comme on l'a dit, se trouve détaché non seulement de la femme longtemps aimée, mais aussi d'un village qui ne le reconnaît pas : "La partance" et ses noces funestes (chanson québecoise pour le coup !), l'exprime en particulier. "Auprès de ma blonde", air vendéen chanté par Hal Collomb (LA CHIFFONIE) et Gabriel YACOUB en choeur, est plus tendre et solide dans les deux sens (que donneriez vous, la belle, pour avoir votre mari ? Je donnerais Versailles, Paris et Saint-Denis !). Le début de cette chanson possède presque les mêmes paroles que "Au jardin de mon père...", chanson reprise par TRI YANN en 1980. Le groupe nantais a également marqué la chanson récente en 1975 avec "Pelot d'Hennebont", dont on trouve ici une ancienne version et moins pop (plus 'MALICORNE' en revanche), originaire de l'Île-et-Vilaine plutôt que de l'ouest du Morbihan : "La lettre de Pelot de Betton". Pour cette magnifique reprise, un groupe 'all-star' : ROBINE, YACOUB, Pariselle, Youenn Le Berre (GWENDAL) et Yannick Hardouin à la basse fretless très adaptée !

Si les musiques militaires 'joyeuses' forment un sérieux contraste avec leurs paroles, il existe ainsi de nombreuses complaintes folk magnifiques, et les mélodies répétitives ne sont pas un frein à l'appréciation. Puisqu'on parlait de Bretagne, une seule chanson de femme apparaît, lumineuse malgré son esprit de congé funèbre à la "Pierre de Grenoble", version celtique : "Ce sont trois jeunes garçons (la visite à Adèle)", par Marie-Noëlle LE MAPIHAN, accompagnée de Jean Baron (bombarde), Soïg Sibéril (guitare) et Pierrick Lemou (violon). Emmanuelle PARRENIN intervient aux côtés de Pariselle et Marc OGERET sur les fameux "Trois jeunes tambours", dont on apprécie grandement le résultat et les développements, même sur près de cinq minutes.

Troisième et dernière intervention féminine au sein du COROU DE BERRA, polyphonie mixte des Alpes-Maritimes, a-cappella, avec influence très proche des chants corses et délicieuse pour un génial "Non, non, plus de combats", au ton hippie avant l'heure. Mon autre coup de coeur sur cet album, dont il forme la conclusion idéale, frissons à la clé comme ces quelques rares notes ensoleillées !

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Après les Chansons de soldats, les Chansons de métiers, chacun avec sa condition souvent difficile et de tous temps, à commencer par les paysans, les 'gens de la terre' et de ce qu'on appelle 'secteur primaire', pour lui garder l'importance qui revient de droit.

Au milieu des champs à ciel ouvert du Berry et de la Beauce, une des terres labourées les plus fertiles de France pendant des siècles, résonnent haut et fort les 'briolages' ou mélopées de bouviers par Mic(k) Baudimant. Dans les montagnes et forêts de Savoie, les locaux de LA KINKERNE expriment le travail autrement éprouvant des bûcherons ou 'scieurs de long'. La principale orchestration de chacun demeure un choeur, en rythme pour l'effort surtout lorsqu'il s'agit d'une collectivité, ainsi que les bruits environnants du travail et des éléments.

Il y a aussi dans ce disque l'évocation d'une société qui pendant longtemps a été en grande partie 'fermée', la plupart des gens demeurant attachée à son village ou sa région de la naissance à la mort, avec le travail pour seule activité. On le ressent même dans les collectivités, ou bien sûr quand le métier se réalise seul(e) dans les villes comme celui du rémouleur ou de la brodeuse : "La chanson de l'aiguille" (XIXème siècle), avec piano et la toujours merveilleuse Chantal GRIMM. Quelle nostalgie pour la vieille fileuse, un beau blues en dentelle ! Jugez plutôt : doigts meurtris, yeux rouges et fleuris, ventre creux et reins débiles, c'est le bilan. Hommes songez à nous... C'est notre vie que vous brisez !. Sans oublier, plus loin, la pauvre modèle pour des tableaux, toujours incarnée par GRIMM et qui elle aussi se voit vieillir, délaisser !

Ce ne sont pas que des chansons mélancoliques, certaines au contraire se révèlent très cocasses ! Entendre Gabriel YACOUB chanter le grivois et fantasque soulève mon jupon, tu verras ma carrière des "Trois maçons jolis", ça n'a pas de prix ! Surtout que c'est avec son esprit blues à lui, guitare et vielle de Gilles Chabenat. "Christophe" (meuniers) et "Le chaudronnier" (boulangers) mentionnent des scènettes très terre-à-terre avec idées d'adultères qui se finissent mal (le four ou une malle ne sont pas les meilleures cachettes pour les amants !). Dany BENHAIM comme Michèle BERNARD fournissent des prestations fort plaisantes.

L'histoire de France est de près suivie par celle du compagnonnage, ordre plus ou moins secret ayant côtoyé depuis l'Antiquité la franc-maçonnerie et les Templiers. Pour leur apprentissage, les Compagnons du devoir devaient/doivent réaliser un grand voyage et aller rencontrer des maîtres dans tout le pays (on se souvient de MALICORNE et de son album-concept dédié en 1978 : Le Tour de France d'Adélard Rousseau, dit Nivernais la Clef des Coeurs). Les architectes, charpentiers et autres bâtisseurs sont bien sûr les premiers concernés, mais également d'autres métiers plus individuels comme le rémouleur (aiguilleur de couteaux et outils). La chanson dédiée à ce dernier offre à BEN (chanteur berrichon) la possibilité de rouler les 'r' tout en s'adressant aux femmes avec espièglerie.

Les femmes justement sont au coeur des histoires de Compagnons - parfois pour simple romance, parfois avec au final un bébé qui ne connaîtra pas son père ! -, que ce soit "Le tailleur de pierre" d'origine périgourdine et esprit hispanique en toute logique, chanté par ROBINE, ou bien les itinéraires entre Provence et pays voisins (Piémont, Dauphiné). Les échanges sont parfois moqueurs, mordants, et l'on ne dira jamais assez combien la participation des Nissards du COROU DE BERRA ("Les trimardeurs") reste essentielle à ce coffret, même très ponctuelle.

Et puis il y a bien sûr les marchands, à la base même du secteur des services dit 'tertiaire'. Sur les places du marché, Mireille BEN vend tout ce qu'elle peut à la criée, et adapté aux quatre saisons, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus rien et se retrouve à faire la manche, avec une voix moins prononcée ! La polyphonie de chanteurs bretons Gilbert BOURDIN & co en colporteurs appelle les clientes ("Par où you !", "Par ici !"), tandis que LA CHIFFONIE se charge d'entretenir les échanges et le marchandage ("La ceinture d'argent"). Une fois encore, la Bretagne est largement représentée avec également le très connu "Petit mercelot" et son histoire fantasque au rythme des "lon lon la que sait-on de l'amour ?" pour leitmotiv.

En dehors des cercles fermés des villages ou des villes, les métiers qui suscitent le plus l'exotisme sont ceux des Compagnons certes mais aussi, de façon plus permanente, des colporteurs et autres mercelots/marchands itinérants. Il y a aussi les marins : en l'occurrence "Calfats" (réparateurs de coques de navires), par Christian DESNOS, chant normand et le seul ici à évoquer tristement un métier 'qui se perd'. À l'heure où ce coffret est publié, on peut dire qu'il y a eu des suites ! "Les canuts", d'Aristide BRUANT au début du XXème siècle, évoque les tisserands de la soie établis pour bonne partie à Lyon, et aux révoltes si nombreuses qu'elle ont inspiré les penseurs du communisme.

Cet excellent disque a en outre le mérite d'être parmi les plus diversifiés du coffret, en thématiques comme en géographie !