Aussi passionnant que soit ce coffret magique de 14 CDs nommé Anthologie de la Chanson Française, il peut y avoir quelques baisses de régime, des thèmes moins percutants ou simplement moins bien présentés. Et parfois, compte tenu de l'agencement de ces chroniques, cela concerne deux disques d'affilée !

Le CD numéro 3, nommé Ballades & Complaintes, possède un titre éloquent mais pas aussi romantique qu'on pourrait le penser. La plupart de ces chansons avait une fonction de chronique et a permis de mémoriser de nombreux détails au fil du temps (personnalités, hauts faits), appuyant le travail des historiens et autres érudits. Les légendes, quant à elles, provenaient souvent d'un milieu citadin !

Gabriel YACOUB avait repris "Les Trois P'tits Frères de Pontoise" sur son premier album solo Trad. Arr. en 1978 ; Marc ROBINE propose sa version en entrée de jeu. Après un second disque très connoté XIXème siècle, il revient avec bonheur aux rythmes et aux airs médiévaux ou héritiers durant les siècles des Temps Modernes. C'est le type de chanson décrivant une forme de cruauté non justifiée, semblant très naturelle, toute humaine : trois enfants désobéissent au conseil qui leur est donné de ne pas passer par Pontoise, ils y sont arrêtés puis pendus. Comme souvent, ROBINE, accompagné par YACOUB, Pariselle et Dompierre, est au sommet de son art.

Avec la même forme de gratuité sanglante, à la même époque (XVIème siècle) et dans la région voisine du Valois (à cheval sur les départements actuels de l'Oise et de l'Aisne), on trouve "La Légende de Saint-Nicolas". Trois enfants demandent à un boucher le couvert et l'hospitalité, mais celui-ci les tue sans raison. Sept ans plus tard, Saint-Nicolas, patron des écoliers, vient chez lui en apparence pour les mêmes raisons que les petits malheureux, mais au final, il les venge et les ressuscite, comme s'ils s'étaient seulement endormis ! Le tout chanté très justement par madame Anne SYLVESTRE, reine des comptines - et qu'on aura l'occasion de recroiser -, ici sur un très bel arrangement de flûtes et de psaltérion. La grande dame se réserve "Perrine était savante" (traditionnel poitevin), histoire coquine de galant pour la servante du curé qu'elle cache dans une armoire et finit par oublier. Au bout de six mois, les rats l'avaient mangé, mais rien ne se perd : on utilisa ses jambes pour faire des chandeliers !

Dans un registre de chronique, on remarque Hal Collomb (du groupe La CHIFFONIE), participant régulier qui offre une "Complainte de Cartouche" dédiée bien évidemment au chef des brigands parisiens du XVIIIème siècle (Louis Dominique de son prénom), tout comme le film des années 60 qui met en lumière feu Jean-Paul Belmondo, fidèle au niveau du portrait. La chanson, lancinante et nettement moins glorieuse, évoque l'arrestation et la torture du héros ou ennemi public.

S'ensuit naturellement celle de Mandrin, autre Louis brigand né un peu après la mort de Cartouche en 1725 (il connaîtra la même, par la roue !), grand chef rebelle très populaire lui aussi mais dans le domaine de la contrebande avec l'opposition aux grands fermiers et sur un rayon beaucoup plus large dans le sud de la France. Bien loin de Grenoble et de Valence (son pays de naissance et d'opérations principales), c'est monsieur François Hadji-Lazaro (PIGALLE), armé de sa vielle, autre 'star' qui se charge de vanter les hauts faits de Mandrin avec un ton cinglant bien ancré dans la capitale et ses rues pavées. Loin aussi de ANGE et de son rock progressif champêtre des années 1970 !

Malgré ces quelques morceaux plutôt bons voire très bons, le reste de cette sélection manque de conviction ou d'accroche. Sur "Le revenant", traditionnel angevin au rythme ternaire de guitares à la BRASSENS, les frères Desaunay (La CHIFFONIE) chantent le retour d'un soldat cru mort en son pays, et qui en dépit de tout, se met à table comme si de rien n'avait été. Parmi les autres textes 'percutants', "La fille de Lyon" et "La fille de parmi ces bois" relatent les histoires réelles ou non de mères jeunes qui ont voulu se séparer de leur enfant. Si la deuxième est moraliste, la première mentionne bien un meurtre, un jugement et une exécution.

Puisqu'il est question de féminité, ces chansons-là sont interprétées par des hommes (ROBINE, Jean Baron), mais Yannick GUILLOUX, chanteuse berrichonne (pour "La fille du geôlier"), comme Anne SYLVESTRE jouent fort bien leurs propres cartes. Et Jean-François Dutertre (groupe MELUSINE) de conclure joliment avec "La belle qui fait la morte" (origine Basse-Normandie), seul à la vielle à roue, pour l'histoire d'un cavalier qui conduit une fille égarée à Paris et veut abuser d'elle dans une chambre d'hôtel. Elle en parle à la patronne, qui lui dit de faire la morte pendant le souper, ce qui la sauve. Il arrive que les chansons se terminent bien, et ce n'est pas plus mal !

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Le quatrième CD est celui des Chansons rituelles, religieuses mais aussi magiciennes, comme le laisse entendre le sous-titre. Dans la lignée du troisième, il se montre décevant ne serait-ce que pour ce dernier point : peu de parole pour les sorcières et sorciers en dehors des sermons dominicaux et des célébrations de mariages ! Toutefois, un bel exemple à retenir qui s'appelle "Les douze mois de l'année". Les fans de MALICORNE la connaissent pour être la première chanson de l'album Le Bestiaire (1979), mais ici, grâce à la divine Emmanuelle PARRENIN, elle prend une toute autre forme, plus enfantine et hypnotique dans son approche tribale minimaliste. Malgré son effet de répétition mélodique sur douze couplets qui ajoutent à chaque fois le précédent, cette chanson ensorceleuse demeure l'un des points culminants de l'opus.

Puisqu'on parle de MALICORNE, notons que "La passion de Jésus-Christ" en ouverture réunit tout de même Marie SAUVET et Gabriel YACOUB ! A-cappella, en harmonie puis en canon, l'ex-couple le plus célèbre du folk français nous conte pendant six minutes l'histoire de celui qui a fini sa vie sur la croix, avec ceci d'original qu'elle est tournée presque comme un dialogue courtois. Plus loin, "Le voyage à Bethléem", changé par Sylvie BERGER, rassemble l'entourage de YACOUB en dehors de lui-même (Nikki MATHESON, Michel HINDENOCH) par une polyphonie d'un esprit très proche de MALICORNE. La Bergère revient en douceur exquise pour "La digne journée" au titre peu évocateur mais qui concerne de nouveau la Passion, la traîtrise de Judas.

Les chansons de ce disque font la part belle à des régions peu présentées le reste du temps (Lorraine, Nivernais/Allier, Mayenne) mais n'ont aucune provenance temporelle. Puisant dans le fond des âges, les fêtes du calendrier même liées ensuite à la chrétienté, perdent leur origine comme leur raison d'être, ce qui n'empêche pas de les célébrer ! "Mardi gras" en ïle-de-France, en dépit d'une qualité médiocre, permet d'entendre un peu Marc ROBINE s'accompagnant au banjo avec le concours d'Emmanuel Pariselle à l'accordéon, ainsi que de nombreux choeurs (tout le groupe MELUSINE !). De ROBINE toutefois, on préfère nettement "Le Guignolot de Saint-Louis", traditionnel bourguignon avec sa tendance à la charité. De quoi faire écho à "Trimazot (la part à Dieu !)" sur le même thème et fortement envoûtant avec ses choeurs masculins.

La première moitié du disque peine à convaincre, même lorsque Gabriel YACOUB entonne le monotone "Jésus-Christ s'habille en pauvre", ou lorsque Chantal GRIMM pourtant si belle partout ailleurs reprend à son compte l'imparable et gentillet "Bon anniversaire". Quant à la polyphonie bretonne menée par Gilbert Bourdin, elle ne marque guère les esprits en parlant de "L'enterrement de vie de garçon" de façon rétrospective, avec un ton festif (était-ce si comparable jadis à ce que l'on peut voir de nos jours ?). Au contraire, on s'étonne des "Conseils à la mariée", complainte a-cappella par la Bretonne Marie-Noëlle LE MAPIHAN, où le début angélique se voit vite teinté de critiques sur la prétendue fidélité des hommes, de adieu la liberté ! et toutes vos belles couleurs flétriront comme ces fleurs (que l'on vous offre) !

En dehors de quelques exceptions donc, il faut attendre la seconde moitié pour renouer avec la qualité propre au coffret. Même si on a entendu "Il est né le divin enfant" au point de ne plus pouvoir l'entendre justement, c'est l'une des rares chansons de Noël proposées et la participation tout aussi inédite de ANN'CLAIR/Anne-Claire Marin comme l'arrangement médiéval (vielles, hammered dulcimer, pour changer de l'orgue) rendent l'air très plaisant au final. Les célébrations de la Chandeleur et de la Saint-Jean, que ce soit par des femmes (Sylvie BERGER et Yannick GUILLOUX) ou des hommes (Bernard INDEAU), sont plutôt passionnantes.

"La chanson des mouillotins", traditionnel de Mayenne, se rattache à Pâques et ses fameux oeufs avec les remerciements très joliment exprimés par Denis LE VRAUX et (au début) la petite Melody Pariselle. Pour finir, les morceaux les plus courts ne sont pas toujours les moins beaux, en témoigne "Nous mènerons la pauvre mariée" (de nouveau par Bernard INDEAU, artiste/ingé son de Dordogne) dont la gigue est originaire d'Auvergne mais qui reste très celtique dans l'esprit !