Juste après les chansons de métiers, que trouve-t-on, en presque toute logique ? Les chansons de marins. Il y avait déjà celle consacrée aux calfats sur le CD 6, mais le répertoire des hommes de mer (ou autres étendues d'eau mouvementées) est si bien préservé et présent dans les mémoires, y compris pour une population qui va se tremper une fois par an quand elle le peut, que ce style-là méritait bien un disque à lui seul, et lequel !

Cependant, on ne trouve ici aucun morceau très connu à l'heure actuelle, pas de "Il était un petit navire" ni de "Santiano" qui n'a d'ailleurs rien de très français à l'origine. Marc ROBINE nous apprend ou rappelle dans ses notes que de nombreuses chansons restées célèbres dans ce domaine en hexagone sont inspirées des sea-shanties, les chants de travail des marins britanniques au parfum de légendes. Pourtant, notre beau pays n'est pas en reste, comme en attestent ces vingt-deux titres !

En tant que Breton de coeur, j'espérais fortement que ce disque-là ne soit pas raté ; c'est loin d'être le cas, heureusement ! Et en matière de Bretagne, on constate que, influence anglaise ou non, c'est encore une fois la péninsule (déjà largement représentée sur les autres disques du coffret) qui se détache par la meilleure sauvegarde de son patrimoine, comme elle l'a encore fait depuis les années 1970.

Une poignée d'autres titres seulement provient d'autres 'pays', comme le "Chant des tilholiers de l'Adour" du côté basque, guilleret avec son dulcimer à marteaux et son chant géré par Emmanuel Pariselle. Ce dernier est à l'avenant sur tout le disque puisque l'accordéon diatonique (le plus traditionnel) demeure l'instrument-roi et dans un contexte plus plaisant et coloré que celui des cabarets ou pavés parisiens au XIXème siècle. On trouve parfois deux accordéons ensemble !

Quand ce n'est pas le 'piano du pauvre', c'est la voix seule qui couvre le bruit de la mer, comme le fait notre cher Gabriel YACOUB sur le traditionnel québecois "Le navire de Bayonne", afin de garder un pied dans le sud-ouest. Parti de Lisbonne avant de faire escale à Bayonne, le marin évoque les quatre vents, les 'coups' de mer, l'imprudence en hiver, pour finir avec les remerciements à Dieu de lui avoir évité ces accidents si fréquents dans le terrible golfe de Gascogne.

Ce disque est bourré de charme, comme si les interprètes étaient tous 'portés' par un thème bien précis mais auquel, malgré les conditions de vie difficiles, le mot 'aventure' est resté associé. Même si celle-ci se limite à un fleuve plutôt qu'au grand large, même en plus petit nombre dans la sélection, elles ne sont pas en reste ! Un peu plus haut, dans l'Entre-deux-mers (delta de Gironde formé par la jonction de la Dordogne avec la Garonne), Michèle BERNARD chante "Devant Bordeaux", une des rares touches féminines ici avec la narratrice qui se meurt de regret en attendant le retour de son marin (l'équilibre traditionnel par rapport aux chansons de tromperie). Magnifique, comme toujours avec cette chanteuse, et dans de très beaux atours musicaux contemplatifs.

Toujours sur le fleuve, admettons que l'appellation d'origine 'Loire' désigne bien le département 42. Ce qui me comblerait de joie très personnellement, en pirate romantique qui aime penser que 'la grande et belle' ne naît pas en Ardèche et ne passe pas au Puy-en-Velay, que Saint-Etienne est le meilleur point de départ pour faire la liaison avec Nantes, yo ho ho ! En tout cas, il est heureux qu'une poignée de titres sauve un peu cet endroit du manque total de représentation dans ce coffret. Le YACOUB le plus galant nous prend au corps sur le "Chant des mariniers de la Loire", superbe. En fermeture de disque, "Chantons la Loire et les mariniers" (par Denis LE VRAUX), au ton différent, est l'une des rares chansons datées de l'opus (deux du XIXème siècle et celle-ci du début XXème), et qui exprime la fin progressive mais très marquée du transport fluvial, les jeunes "partis faire aut'chose" ! Le tout néanmoins sur un ton joyeux, plein de rimes en 'o'.

Ah, les rimes en 'o', toutes à la faveur du bon parfum salé de cet opus, et dont les chansons de Bretagne, Nantes comprise évidemment, sont très imprégnées ! Pour rester dans la critique, "Ceux qui ont nommé les bancs" décrit le quotidien aux galères, tandis que "Marcherot" se conclut par "c'est toujours les p'tits qui marchent pour les gros !". Une gigue formidable conduit le tout (d'autres versions existent, plus lentes comme "Le capitaine de Saint-Malo", chanté par TRI YANN). Le doyen Francis LEMARQUE, si émouvant pour le disque 'soldats' quand il chantait les tranchées de 1914, se prête fort bien à "Pique la baleine", sautillant et néanmoins envoûtant.

Que de plaisirs, d'orchestrations remarquables et pourtant si simples ! N'étant pas toujours amateur du groupe drômois LA CHIFFONIE et son approche tzigane, sur ce disque je dois dire qu'ils font de vraies merveilles et dès le départ avec "Saint-Nazaire", dialogue entre filles du port et marins qui doivent lever l'ancre ; plus loin, Hal Collomb seul chante "Marcherot". Les voix à réponses ou en canon font aussi la force des chants de marins, et la voix grave de Christian DESNOS s'illustre ainsi parfaitement sur "Hourra ! Les filles à dix deniers", aux couplets qui commencent à dix pour finir à un, nettement moins aride et redondante que beaucoup d'autres du genre.

Sur "Quand je suis parti de La Rochelle", DESNOS marin pense très fort à sa belle avec nostalgie, mais juste après, sur "Le retour du marin", Tonio GÉMENE est reçu par sa femme remariée entretemps et s'en retourne à son bateau en pleurant. Marc ROBINE, toujours excellent, se réserve le très beau "Filles de Lorient" avec un hautbois du Languedoc pour lui faire écho, ainsi que "Le forban", véritable ode à la flibuste sur piano bar. "Le père Winslow" déroge à la règle globale en incluant des rimes anglaises (ennemi en vue !), mais on aurait tort de s'en priver avec un chant si expressif ! Jean-Yves CORNIC est d'ailleurs présent pour l'autre chanson de flibuste et d'abordage, "Le corsaire (le grand coureur)" où il doit se donner du courage pendant une attaque, sur une mélodie en mineur avec des bombardes et caisses claires. Passionnant pour l'auditeur !

Comme toujours, saluons la grande Anne SYLVESTRE au timbre adolescent sur "Chantons pour passer le temps..." : amour, mariage, caractère international de la marine qui lui a donné tant de puissance pendant des siècles. Qui plus est ici, avec l'accordéon de Pariselle, le mandoloncelle de YACOUB... Enfin, "La batelière" où les chants graves comme aigus sont féminins (Michèle BERNARD et Marie-Noëlle LE MAPIHAN) avec réponses de violon ou de flûte, décrivant un homme de cour qui veut 'forcer' une fille sur un bateau à son désir, mais celle-ci lui résiste hardiment, tout en se faisant payer : "De ton argent tu as été le maître, de mon honneur je suis la maîtresse !" Remarquable. Grandiose, comme ce disque.

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L'Air du Temps, ou quand la chanson se fait chronique. Comme sur le CD 3 Ballades & Complaintes, mais en étant moins dédiée aux grands personnages et faits (mis à part "Le départ du roi..." précédant de peu la victoire de François Ier à Marignan, ou plus tard les chansons anarchistes) qu'à des scènes du quotidien de tout-un-chacun parsemées avec subtilité de références aux évolutions d'un pays.

Ce disque réaliste et très terre-à-terre est une nouvelle réussite, même si moindre que celui des chants de marins qui le précède, bien plus en tout cas que celui des Ballades & Complaintes. Francis LEMARQUE est de nouveau à l'honneur, ouvrant le disque de façon très judicieuse avec "Le marchand de chansons" qui, avec l'allant d'un troubadour, affirme pouvoir adapter son métier à tout : critique de la finance et des politiques 'inutiles', favorisation des amoureux...

On le retrouve sur "Tableau de Paris à cinq heures du matin", chanson du XIXème siècle naissant qui mentionne le début de vie quotidien du petit peuple de la capitale sous Napoléon. Elle fut écrite par Marc-Antoine Désaugiers sur l'air du ballet de "La rosière" avec beaucoup d'intelligence, bien avant d'inspirer les grands auteurs du XXème siècle tels Paul Fort, Pierre MacOrlan, ou encore de se voir 'renaître' en 1968 grâce à Jacques Lanzmann et Jacques DUTRONC. Remarquons d'ailleurs une partition brillante de flûte traversière là aussi, même si on est plutôt sur un rythme de valse folk.

Loin de là mais toujours au XIXème siècle, le groupe drômois La CHIFFONIE exprime la rudesse du bagne ("La chaîne"), tandis qu'un siècle avant, le "Galérien" de Lionel ROCHEMAN se cite lui-même (chose pas si courante dans ce coffret) et clame son innocence d'avoir tué un écolier dans un bel élan blues.

La CHIFFONIE revient pour des chansons virulentes, anarchistes comme "La dynamite" de Jean-Baptiste Martenot qui dépeint les bouleversements sociaux de la fin du XIXème siècle, les applications de principes de Bakounine et Proudhon par Ravachol et sa bande avec des actions parfois 'explosives'. Ils chantent aussi "La purge" de Constant Marie dit Père Lapurge, non pas apothicaire mais anarchiste aux propos virulents anti-gouvernementaux et remarqués à son époque, par les sympathisants comme par la police.

Sur un rythme ternaire guitare-contrebasse, Gilles ELBAZ entonne le grivois "Foire aux nichons", description de seins divers et reliés à diverses franges de population (maigres = anarchistes, gros = je-m'en-foutistes !). Marc ROBINE, au contraire, se fait plutôt fin et presque romantique avec "C'est sur le pont de Lyon", guitare et flûte en arpèges mineurs, description d'une belle et éléments sociaux sous-jacents. Une chanson originaire du Valronnay, région antique correspondant au sud-est du département de l'Ain. Avec Hal Collomb de La CHIFFONIE, ROBINE offre un beau duo également sur "M'en revenant de noces", avec 'dondaines', picking folk et bombarde qui fait écho aux voix.

Les chanteuses de caractère comme Arlette MIRAPEAU et Florence DIONNEAU réveillent l'esprit cabaret parisien au XIXème siècle, respectivement avec "Une noce à la cascade" pour l'une, "Le réveillon à faire " et "Madame Grégoire" (nostalgie d'une tenancière) pour l'autre. Ce disque est ainsi fait de contrastes saisissants avec d'un autre côté l'adorable Michèle BERNARD seule et lyrique sur "Le bout de monsieur d'Argenton", la nostalgie de Michel HINDENOCH pour "Tu n'as plus d'amitié pour moi" sur un bourdon hanté de cornemusette.

Avec autant de force, Evelyne GIRARDON juge durement sa "Frangine" devenue gourgandine avec l'âge, délaissant leur mère morte entretemps, mais qu'elle invite à redevenir sérieuse, travailleuse, sa 'vraie' soeur. Avec "Tout en m'y promenant" (Marie-Noëlle LE MAPIHAN), cela fait autant de chansons d'amour contrarié fort bien écrites. De même, les hommages simples et sincères tel celui à la défunte "Vieille servante", par Chantal GRIMM et Gilles ELBAZ, un peu enfantin.

En parlant d'enfance, il est amusant de constater combien ce ton peut-être mêlé aux choses plus adultes : sur l'excellent "Les vaches noires", Lionel ROCHEMAN en petit paysan découvre que sa mère l'écarte de la maison pour se rapprocher d'un homme 'qui ne doit pas être son père' (c'est en fait le vicaire !), avec la rengaine entêtante bon bon, ça m'dérangeait guère, bon bon, ça m'dérangeait pas.

Dans le même genre folk à guitare splendide et savoureux, l'occasion est belle de redécouvrir "L'hospitalité"/"Il pleut bergère", berceuse-tube du XVIIIème siècle certes mais moins connue pour ses couplets adultes. De surcroît, fort bien chantée par Jean-Loup Baly (MÉLUSINE) et arrangée, avec Marie Bersoux au basson, instrument assez présent dans ce disque. Disque passionnant même si, comme le deuxième du coffret, avec quelques baisses de régime par rapport à celui qui le précède, ou alors d'un point de vue personnel, trop de ton XIXème siècle (que je préfère en littérature).