Nous avions quitté RISE AND FALL OF A DECADE en 1994 avec son superbe troisième album You Or Sydney. Le trio, avec sa coutumière discrétion, en un peu plus de six ans d'existence, a même réussi à marquer de son empreinte délicate la sphère musicale hexagonale. Même si la majeure partie de son public se compose des adeptes des univers sombres, la multitude d'influences irriguant son travail et le large éventail sonore proposé lui ont conféré au final une attention somme toute plus large. Les amoureux également des musiques pas comme les autres pouvaient aisément s'y retrouver.

Fort de sa participation par exemple à la Route du Rock en août 1994 à Saint-Malo ou d'un concert rennais qui donna l'album live Ubu Reine 1, le trio a atteint une forme de sommet artistique sans doute difficile à surpasser, voire tout simplement à égaler. Suffisamment crédible pour avoir aussi une assise auprès de la profession, il n'en demeure pas moins que le trio souffre d'une position paradoxalement inconfortable. Si la reconnaissance est bien là, elle n'empêche pourtant pas le combo de demeurer trop confidentiel. RISE AND FALL OF A DECADE est en définitive un cas d'école. Il souligne malheureusement encore une fois la difficulté relative de vivre pleinement de son art.

Forget the 20th Century sort donc en 1997 et, dès sa parution, se révèle encore une fois totalement hors du temps. La Britpop se meurt et le trip-hop à l'image de MORCHEEBA ou TRICKY se renouvelle avec audace. Chez nous, DOMINIQUE A ou MIOSSEC le Brestois redonnent leurs lettres de noblesse aux mots chantés dans la langue de MOLIERE. RISE AND FALL OF A DECADE n'en a cure. Il nous expose, comme quasi-hermétique à son environnement direct, une galette gourmande de quinze titres dépassant rarement les trois minutes. Pour qui connaît l'univers du trio, elle sonne comme une intéressante tentative de synthèse où renouvellement et clin d’œil au passé, pas si lointain d'ailleurs, se partagent l'espace.

La formule capable d'allier ces deux faces trouve dès l'introductif "Education" une forme aboutie. Si les voix de Sandy Casado et de Pierre-François Maurin-Malet nous rassurent en se répondant avec grâce comme de coutume, le piano qui les accompagne, vif et enlevé, a de quoi surprendre. C'est aussi naturellement le cas avec les pourtant décevants "Unidentified Nations" et "Ten Times on Taine Street" ou le nettement plus réussi "Sleep and Ideal" qui se détournent des canevas habituels du groupe pour nous exposer des effluves trip-hop. C'est la seule et malheureuse concession à l'air du temps. J'ai souvent évoqué pour RISE AND FALL OF A DECADE la richesse des couleurs employées. Sur Forget the 20th Century, elles semblent utilisées à l'infini. Alors, c'est vrai que, parfois, à l'image de l'éreintant "Let's Go Together", elles sont éparpillées. Mais l'intention de changement est clairement là, quitte à rendre ce résultat ambiguë, bancal.

Il est alors difficile de trouver un fil conducteur tant les ambiances proposées ne se rapprochent de rien d'existant. Les plus sceptiques y verront de l'éparpillement. Les autres, plus sûrement, une soif artistique de création sans faille. Il faudra peut-être jeter un sécurisant coup d’œil dans le rétroviseur à souvenirs pour se rappeler pourquoi ce groupe nous est si précieux. L'épure est à l'évidence l'un de ses attraits. Le conclusif "Black Hole", à l'entêtant piano et aux cordes mélancoliques, fait mouche. L'abrasive guitare qui ponctue le délicat "Sleep And Ideal" ou celle, menaçante, de "Welcome To Ris" nous amènent là encore à l'essentiel : les émotions. Les voix sur cet album sont encore une fois un atout majeur. De la voix habitée de Maurin-Malet insufflant une forme de colère étouffée à l'énergique "Free As In Utero", à celle, plus rythmée, de Sandy Casado ("The French Song Is Dead"), le groupe avec fluidité titille notre fibre émotionnelle. Si les paysages sonores sont variés, ils se rejoignent par la volonté de ne pas laisser l'auditeur au bord du chemin.

Forget the 20th Century est un peu à part dans l'histoire de RISE AND FALL OF A DECADE. Le groupe a naturellement tenté d'évoluer. De là, naissent quelques errements trip-hop qui affaiblissent un peu l'ensemble. Il n'en demeure pas moins que le trio soudé et parfaitement complémentaire a encore gardé le plus souvent intacte cette capacité à faire de la sobriété un gage d'intemporalité.
Merci à lui, encore une fois.

Note réelle :3,5/5