En 1966, voici venir sous le soleil brûlant californien un jeune chanteur folk à la voix pour le moins singulière, couvrant cinq octaves, du baryton au haute-contre. C'est le début d’une aventure foisonnante et passionnante qui ne durera malheureusement qu’une petite dizaine d’années, la faute à une existence angoissée qui ne sera calmée que par les substances chimiques, jalonnée par des albums brassant une foule de styles divers et variés, tour-à-tour totalement uniques, inclassables.
Tout démarre en 1956 lorsque la famille de Tim BUCKLEY lui fait découvrir le jazz via les travaux réalisés par Frank SINATRA, Billie HOLIDAY ou Bessie SMITH mais également la country dispensée par Johnny CASH. En écho à la révolution folk se déroulant au début des années 60, il apprend le banjo par lui-même à l’âge de 13 ans et forme son premier groupe avec des amis.
Après avoir rencontré Jim Fielder et s’être lié avec lui, son futur bassiste, et Larry Beckett, parolier avec qui il ne tardera pas à écrire une douzaine de chansons, Tim décide de se consacrer entièrement à la musique. Il commence à jouer régulièrement dans les clubs de Los Angeles comme le fameux Troubadour.
En février 1966, le petit coup de pouce du destin se produit. Le batteur des MOTHERS OF INVENTION, Jimmy Carl BLACK, recommande Tim à son manager Herb Cohen. Ce dernier, conscient de son immense potentiel, l’emmène dans ses bagages à New-York pour un show au Greenwich Village et lui fait enregistrer une démo. Le label Elektra, emballé par ce disque, lui offre ainsi un contrat.
En août 1966, Tim BUCKLEY met ainsi en boîte son premier album en trois jours à Los Angeles. Le résultat ne le satisfait que très peu, le comparant à Disneyland, début d’une histoire tourmentée avec ses propres enregistrements. Quoiqu’encore un peu naïf et malhabile par instants, il reste toutefois une carte de visite efficace pour le chanteur en même temps qu’un manifeste du son folk-rock typique de l’époque.

En outre bien plus accessible que ses travaux futurs, il permet d’introduire le son si particulier du guitariste Lee UNDERWOOD entre improvisations jazz et country. Celui-ci deviendra un des fidèles accompagnateurs de BUCKLEY après leur rencontre lors du passage du chanteur à New-York. On retrouve aussi Van Dyke Parks aux claviers, célèbre pour ses collaborations aux côtés des BEACH BOYS, ainsi que Jack NIETZSCHE aux arrangements de cordes, illuminant le romantique "Valentine Melody" ou le baroque "Wings".

"I Can’t See You" est une bonne entrée en matière, assez rude et psyché, deux salles pour deux ambiances, un brouillon du merveilleux "No Man Can Find The War". "Strange Street Affair Under Blue" avec ses variations de rythme inconfortables annonce également l’ambiance médiévale qui sera prégnante sur Goodbye And Hello.
Plus solaires sont "It Happens Every Time" et "Song For Jainie" en hommage à son épouse. Mais les deux titres se détachant par leur ambiance tout à fait particulière sont "Song of the Magician" et "Song Slowly Song", méditatifs et souterrains.

Bien que ce soit un premier jet prometteur, rien ne nous préparait vraiment à la suite incroyable siégeant derrière la porte du donjon fortifié un an plus tard, farouchement gardée par un Errol Flynn au sourire brillant d'insolence.