L’incertitude qui régit nos existences annihile nos espoirs de changement (qui a dit de révolution ?). Lorsque c’est déjà un défi d’atteindre la fin de la journée, une gageure de tenir jusqu’au weekend, un challenge de boucler le mois, on tend à gérer l’instant avant de se projeter plus loin. Or, c’est cette projection qui constitue le terreau du changement. Ces évolutions subies qui rythment nos vies et nous font courber chaque jour un peu plus le dos ne nourrissent pas notre soif de révolution. Et lorsque nos existences confortables d’occidentaux se heurtent à notre assoupissement délétère, naît alors le paradoxe. La révolution oui, mais par pitié ne nous coupez pas l’essence.

Finalement, un groupe comme HAPPY OL’ McWEASEL n’est pas tellement taillé pour les révolutionnaires de canapé. Le groupe hongrois, premièrement, représente une constance dans ce monde incertain. Alors que la formation propose avec Such Is Life son troisième album en 12 ans de carrière, mettant fin par la même occasion à huit longues années de silence, l’impression qui ressort de l’écoute de cette nouvelle réalisation est celle d’une continuité assumée et désirée. Such Is Life s’inscrit dans la lignée directe du punk/folk initié avec No Offence… en 2012, et qui avait connu son apogée, en termes d’efficacité et de puissance, sur l’indispensable Heard Ya Say ! en 2015. Comme si le temps s’était arrêté, le groupe livre une musique basée sur cette même alchimie entre distorsion et tradition. En ce sens, "Break Them Bones" est un manifeste. Déjà publié en single en 2019, ce morceau qui évoque l’univers des DROPKICK MURPHYS est une déclaration, le symbole d’un retour que l’on espère durable. Cette introduction est éclatante.

Deuxièmement, HAPPY OL’ McWEASEL n’est pas le groupe du Grand Soir, il est trop carré pour cela. La force du groupe, elle ne lui fait pas défaut ici, a toujours été cette capacité à danser sur le fil, suspendu entre sonorités punk et tradi, entre puissance et mélodie, entre légèreté des refrains et sérieux du propos. Cette alchimie délectable entre ces différents éléments opère une nouvelle fois à plein régime sur cet album, et ne tarde pas à se manifester. "100 Years", porté par une guitare acoustique énergique et enivrante (les amateurs de la musique de BODH’AKTAN en auront ici pour leur argent), est ce genre de ver d’oreille qui vous fait comprendre pourquoi HAPPY OL’ McWEASEL est un groupe important sur la scène actuelle. Sans forcer, le groupe nous donne à savourer, sur une rythmique frénétique, un refrain recherché et ce mariage réussi entre accordéon et guitares, que l’on peut apprécier tout particulièrement sur ce break solennel qui "casse" le morceau. Impeccable et imparable.

La facette punk du groupe se retrouve dans sa volonté de concevoir des chroniques sociales ("On The Run" et son violon virevoltant) souvent désabusées, comme peut le faire SIR REG. Là encore, la férocité punk se heurte à cette recherche permanente de la mélodie, renforçant ainsi un peu plus l’héritage des POGUES. Dans une veine similaire, "Heart on Fire", "Ludwig" et surtout ce véritable tube qu’est "See You Tomorrow" (qui s’achève à grands renforts de cuirs, comme une symphonie) viennent confirmer cette impression que le groupe sait rester fidèle à sa ligne de conduite tout en parvenant à varier son propos.

Les couleurs de l’album sont d’ailleurs assez bariolées. Un soupçon de rock britannique des années 90 sur "Welcome to the Other Side", une bonne dose de swing et quelques influences rock 70’s sur "Out of My Way", quelques éléments viennent ici rafraîchir la musique des Hongrois sans la dénaturer d’un pouce. Quelques ballades, comme des respirations, viennent apporter une substance supplémentaire à l’album. Entre la sing-along "Mickey Lad", hymne à l’honneur d’un ami imbibé, "Somewhere" qui mêle avec réussite flûte et violon pour un résultat intense, ou encore "Fly So High", qui voit la facette tradi prendre ici le pas sur les ambiances folk, le groupe prouve qu’il est capable de rester inspiré sur l’ensemble de l’album.

C’est à l’écoute de Such Is Life que l’on se rend compte que HAPPY OL’ McWEASEL nous a manqués. Le groupe hongrois porte une identité à la fois partagée par nombre de groupes de sa génération, mais il y a quelque chose de résolument unique dans sa manière de jongler entre ses différentes influences pour un résultat savoureux et homogène. Le tout, porté par une mise en son claire et engageante, donne naissance à un troisième album fort honorable. Une humble révolution.