On essayait de faire passer ce message que la musique doit être faite avec de l’âme, et c’est pour cela que le disque «Besombes-Rizet» tente d’humaniser la technologie, avec un mix constant entre les parties jouées et le rajout de sons créés. Puis faut dire les choses: c’était aussi par manque de moyens, on avait quelques synthés mais c’était rudimentaire; c’était donc plus malin de jouer notre musique à la Pierre Henry en ralentissant ou modifiant les bandes pour créer de nouvelles sonorités. Philippe Besombes*

Voici assurément l’album le plus connu du label Pôle. Fruit de la collaboration des synthésistes Philippes BESOMBES et Jean-Louis Rizet, ce double album intitulé… Pôle a été pensé par ses auteurs comme un hommage à la scène musicale avant-gardiste allemande, longues pistes planantes à la clé. Partant de là, vu les antécédents du label (le pénible Kotrill, les anecdotiques Inside The Dream et Pataphonie), nous avons de bonnes raisons de nous méfier.
Pourtant, sans révolutionner son monde, Pôle se révèle être une œuvre originale et inspirée. Philippe et Jean-Louis mettent à profit une lutherie assez conséquente: les incontournables synthétiseurs ARP 2600 et EMS VCS 3, ainsi que de l’orgue, du piano électrique, du Mellotron et du Solina String Ensemble, autant de claviers qui ont forgé le son des années 1970. À cela se rajoutent divers autres instruments acoustiques, parfois joués par des musiciens invités – le batteur Jacky Vander Elstraete et le saxophoniste Alain Petit. La kitsch mais superbe pochette, une surimpression floue et mystérieuse, est à l’image du contenu: des paysages sonores sombres, moites et inquiétants, tissés avec délectation.

Sur "Haute Pression", le VCS 3 erratique, l’entêtante séquence d’ARP, les sublimes chœurs fantomatiques de Mellotron et les nappes si caractéristiques du Solina évoquent les lumières blafardes, les commandes réticentes, l’atmosphère étroite et confinée d’un sous-marin. Tout s’emballe sur la fin du morceau, ce qui laisse craindre le pire pour les pauvres marins cloîtrés dans leur cercueil sous-marin. L’heure est au contraire à la méditation avec (Évelyne * Lise =) "Evelyse", un morceau lyrique et brumeux, dont la flûte traversière confirme l’affiliation avec le Pheadra de TANGERINE DREAM.
Le Mellotron se fait dramaturge sur "Armature Double" qui couvre la deuxième face, entre une introduction assez flippante, et un long dialogue avec la basse électronique, entre échaffourées et apaisement, avant une conclusion séquencée. S’ensuit "Lundi Matin", un titre qui pourrait être synonyme de routine engourdie, avec la motivation dans les chaussettes. Cette piste est pourtant des plus entraînantes et enjouées, forte d’une rythmique dynamique et puissante. "Montélimar", sans doute la piste la plus structurée du lot, en tout cas la moins improvisée, se situe dans un registre plus nostalgique.

Dans la série Les Grandes Enquêtes De Notre Temps, voici comment devenir une vedette préfabriquée… Rock À Montauban! Et voilà qu’en plein milieu de l’album, on trouve "Rock À Montauban", qui détonne totalement. C’est une bidonnante caricature de la pop music anglo-saxonne, avec une instrumentation volontairement bancale et à côté de ses pompes, des paroles clichées, des chœurs benêts et des dialogues ridicules… Un grand moment de poilade!
L’album se conclut sur "Synthi Soit-Il", nouveau pavé d’une vingtaine de minutes. Cette impressionnante jam est le clou du disque. Une longue transe électronique insaisissable dans laquelle on pourra s’étonner de la monotonie de la batterie, étonnament régulière dans ce déluge sonore, qui n’est pas sans rappeler Soon Over Babaluma de CAN.

La réussite de cet album tient dans le talent de Philippe et de Jean-Louis à suggérer des climats très variés avec leur matériel. Ces longues plages se différencient nettement de la bande-originale Libra (1975) de Philippe BESOMBES, beaucoup plus fractionnée.
Pôle a été réédité à plusieurs reprises, mais gare! La version vinyle de 2015 par Gonzaï Records raccourcit "Armature Double" et fait l’impasse sur "Rock À Montauban" et "Synthi Soit-Il", et est donc à éviter à tout prix. La version digitale du même label omet toujours "Rock À Montauban". La seule réédition valable est la version CD de 2004 par le label israélien Mio Records, qui a également repressé d’autres albums de Philippe BESOMBES. Bien que Pôle soit un album collaboratif, nous le classerons ici dans la discographie de Philippe BESOMBES pour une question de simplicité.

– Eh dis donc, comment ça marche ça, avec tous ces boutons?
– Oh m’embête pas, je suis en train de régler!
– Eh, c’est normal? Ça mousse, là!
– Main non c’est pas normal! Attention, ça va exploser!

*https://gonzai.com/saint-des-synths-35-philippe-besombes/