AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Chercheur en chimie organique de formation – il soutient sa thèse de doctorat en 1972 –, Philippe BESOMBES se consacre en parallèle à une tout autre vocation : la musique expérimentale. Il crée ses premières œuvres sur bande en 1971, compose des musiques originales pour plusieurs ballets, rencontre Jean-Michel JARRE (récemment sorti du GRM) en 1972 et, durant une intérim, accomplit un voyage en Moyen-Orient duquel il ramena une sitar et un tabla indiens. Son travail d’ingénieur du son au Festival de musique contemporaine de la Rochelle est de 1972 à 1974 l’occasion pour lui de rencontrer de nombreux compositeurs tels Iannis XENAKIS, Pierre BOULEZ, Karlheinz STOCKHAUSEN ou Ennio MORRICONE.

C’est en 1973 qu’il composa la musique du long-métrage Libra, projet du collectif cinématographique Pattern – Jean Talansier, Roland Moreau et Georges Perdriaud. Introuvable en streaming ou en quelconque diffusion cybernétique, ce film raconte l’histoire d’une bande d’amis quittant la vie citadine pour vivre en autonomie dans la nature – au passage, une thématique de plus en plus d’actualité. Il semble pour l’heure impossible de trouver une diffusion de ce film sur Internet et il n’y a pas beaucoup d’informations en dehors d’un casting et d'un synopsis succints, les informations de durée étant contradictoires (1 heure 50 minutes sur SensCritique mais 1 heure 31 minutes sur IMDb). Toutes les autres informations concernent sa bande originale.

L’album Libra est aux antipodes des premiers albums Pôle (Kotrill et Inside The Dream). La tracklist et, a fortiori, le style de l’album sont extrêmement fractionnés, tant et si bien qu’il devient difficile de juger ce disque avec précision. Nous trouvons, pêle-mêle, des divagations à l’orgue, du piano préparé, des expérimentations sur bande, du guitare-basse-batterie détourné, des vocalises diverses, le tout s’entrecroisant au fil des morceaux. Libra s’avère un inégal, ce qui est difficilement évitable avec une telle structure.

Le plus simple est d’isoler les instrumentations les plus rythmées. Sur plusieurs de ces morceaux, Philippe BESOMBES détourne à l’envi la base guitare-basse-batterie pour en faire des semi-improvisations farfelues, traversées d’effets sonores divers. C’est le cas de la rythmique endiablée de "Rugby", réutilisée sur "Jaune" avec des effets sonores différents, du volontairement stéréotypé "Boogimmick" (composé par Patrick Verbeke), de l’excellent et psychédélique "Hache 06" et du délicieusement évocateur "La Ville" (qui recycle en son milieu l’introduction de "Thème Grave"). "Jaune" me semble plus intéressant que "Rugby". D’autres morceaux sont encore l’occasion pour Philippe BESOMBES d’explorer les possiblités de la sitar et du tabla, sous forme de simple bouclage comme en conclusion de "Jaune", ou de véritables essais d’hybridation comme sur "Raggacountry" et les deux parties de "La Ville".
Dans ce joyeux barnum, on peut s’étonner de la présence de "Ballade En Vélo" et "Tis A Song", deux arrangements différents d’un thème assez conventionnel, composé par Alain Legros, empreint d’une légère mélancolie. Le premier voit la participation d’une section de cuivres, le second est chanté en anglais.

Le reste se partage entre orgue souterrain, chant torturé, effets synthétiques angoissants, pour un résultat prenant. Les sirènes de "Thème Grave", les chœurs solennels de "Thème Grave" et "Cérémonie", les vocalises déglinguées et l’orgue fou de "La Plage", "Les Diapos", "PJF 261", "Appel De Libra", "Les Cosmonautes" et surtout de l’impressionnant "Avécandista" de six minutes, plus long morceau de l’album, saisissant avec ses exclamations d’enfant. "La Plage" et "Les Cosmonautes" sont par ailleurs identiques à l’exception de certains effets sonores. Ces morceaux sont tous réussis et le morcelage de la tracklist, malgré des disparités qualitatives, révèle des contrastes puissants qui complètent les hybridations sonores de "Jaune", "Raggacountry" ou "Avécandista".

Du côté des pistes bonus de l’édition CD de 2004 par le label israélien Mio Records, nous trouvons les très bons "Chocolate Cream" et "Tamota Pie Pie", de nouvelles instrumentations guitare-basse-batterie chelou, en particulier le merveilleusement déglingué "Tamota Pie Pie". Les dix secondes de "Orgue Hache 06" n’ont aucun intérêt. À la fin du CD, il n’y a ni plus ni moins que vingt-trois minutes de "Piano Préparé" improvisé, dont nous trouvons quelques brefs extraits sur "Jaune" et "Poursuite". L’album a été réédité en vinyle en 2009 par Wah Wah Records sans les pistes bonus.

3 ½ sur 5