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Rick WAKEMAN - A Gallery Of The Imagination (2023)
Par AIGLE BLANC le 10 Mai 2023          Consultée 1111 fois

A 74 ans, Rick WAKEMAN affiche une forme discographique olympique, en terme quantitatif s'entend. Sa carrière n'a jamais connu, semble-t-il, de longs tunnels ni de passages à vide. L'ex-claviériste de YES a eu le temps de vivre plusieurs vies au cours de son existence, accumulant les projets avec une boulimie pouvant certes prêter le flan à la moquerie, mais reflet en définitive d'une liberté artistique assez rare dans l'industrie du disque. Après un début de carrière solo sous l'égide de grands labels (A & M Records, Charisma), il s'est mis à écumer, au gré de ses projets et opportunités, des dizaines de petits labels, indice pour certains d'un statut défaillant, mais que l'on peut également considérer comme un gage de liberté, le bonhomme ne suivant apparemment aucun plan de carrière préétabli.

Si le succès de ses opus en solo témoigne d'un caractère versatile, ces dernières années, depuis Piano Portrait (2017) selon Baker dans sa chronique éponyme, l'artiste semble avoir renoué avec une certaine réussite commerciale, confirmée par Piano Odyssee (2018), Christmas Portraits (2018) et The Red Planet (2020), ce dernier offert aux fans de longue date qui réclamaient un album dans la tradition du rock progressif instrumental des années 70.

Après la modeste mais jolie réussite du progressif The Red Planet, arrive trois ans plus tard, dans les bacs, A Gallery of the Imagination. Un premier examen de sa pochette frontale, figurant un beau cadre en bois massif doré sur un arrière-plan aux tons pastel, et la mention, sous le patronyme du claviériste, de son groupe, The English Rock Ensemble, laissent augurer un bon album. Hélas, quelques écoutes suffisent à décevoir les promesses initiales.

Certes, il ne s'agit nullement d'un ratage honteux mais, en dépit de ses qualités, le disque souffre avant tout d'une légère incohérence structurelle et stylistique. Comme cela est fréquent dans sa discographie, Rick WAKEMAN s'appuie sur un concept précis pour élaborer son projet musical. Après l'inspiration que lui ont fourni les diverses missions des sondes envoyées sur Mars, lors du précédent opus dont chaque titre offrait une promenade sur les reliefs de la planète rouge, place cette fois à un concept simple mais susceptible de fournir un album original : la première professeure ayant enseigné le piano à Rick WAKEMAN lui conseillait, une fois parvenu à une maîtrise suffisante d'une composition, de jouer la pièce les yeux fermés afin de se laisser pénétrer par la couleur qu'induit chaque note, de la même façon qu'un peintre projette les couleurs sur sa toile. Le claviériste, marqué par cette métaphore, a conservé depuis l'habitude, même en concert, de pianoter les yeux fermés, peignant note à note les images traversant son esprit. De cette image séduisante, aboutit l'opus qui intéresse ladite chronique, constitué de douze compositions, chacune formant une 'galerie de l'imagination'. Cependant, le concept, aussi poétique soit-il, n'est en rien inédit : Klaus SCHULZE, pour ne citer que lui, avait conçu un album entier, Picture Music (1973), qui suivait une démarche similaire, sollicitant l'auditeur invité à projeter sur l'écran de son imagination les images générées par chaque note. Que la musique se déploie en images dans les esprits, quoi de plus banal en définitive, mais alors pourquoi Rick WAKEMAN ne propose-t-il pas un opus instrumental, comme savent si bien les concevoir Joe SATRIANI et VANGELIS ? D'instrumentaux proprement dits, l'album n'en contient que quatre, les huit autres pistes épousant le format de simples chansons dont le livret expose les paroles. Or, les paroles par le sens qu'elles apportent réduisent la part imaginative de l'auditeur dont les pensées se laissent forcément un peu guider. Relativement au concept évoqué plus haut, le choix artistique de livrer une majorité de chansons débouche par conséquent sur une incohérence.

De plus, suite à la prestation flamboyante de l'English Rock Ensemble lors de l'opus précédent (The Red Planet, on est en droit de regretter ici l'étonnante discrétion du même orchestre qui se moule dans les chansons jusqu'à frôler l'invisibilité, en particulier la guitare de Dave Colquhoun étrangement 'effacée' la plupart du temps, à de rares exceptions près (dont le pont de "My Moonlight Dream"). Pour qui, comme moi, ne connaît cet orchestre que depuis 2020, la déception reste de taille au point que la mention de son nom sur la pochette sonne presque comme un mensonge.

Des quatre pistes instrumentales, donc de celles susceptibles de répondre le mieux au concept initial, deux seulement sont des pièces solo de Rick WAKEMAN au piano. Hélas, la position minoritaire, au sein de l'album, de "The Creek" et "Just a Memory" ne favorise pas leur potentiel évocateur. Le claviériste détrompe la plupart de ses détracteurs en proposant deux compositions assez minimalistes et en en livrant une interprétation sobre et recueillie. Si "The Creek" s'inscrit peu ou prou dans le courant néo-minimaliste du pianiste italien Ludovico EINAUDI, inspiré des travaux pianistiques de Philip GLASS, il n'en est pas pour autant une composition marquante, simplement jolie. WAKEMAN se contente du minimum, livrant une pièce conforme aux ballades et comptines habituelles du genre abordé ici. Cela pourrait donner au mieux une agréable musique de film. Quant à "Just a Memory", il sombre dans les travers les plus communément admis des compositions chères à Richard CLEYDERMAN. Sur une mélodie douce et mélancolique, le piano égrène des notes sentimentales un poil caricaturales. Cela reste agréable d'écoute certes, mais on est en droit d'attendre plus d'ambition de la part du fougueux claviériste de YES.

Les deux autres pistes instrumentales, "Hidden Depths" et "The Diner Party", quant à elles, permettent enfin à l'English Rock Ensemble de s'exprimer franchement au point que ces deux titres n'auraient pas dépareillé dans The Red Planet. C'est ce que l'album aurait pu ou dû devenir si WAKEMAN l'en avait décidé. "Hidden Depths" inaugure favorablement le programme, sans être pour autant exceptionnelle. Riche de punch et de dynamisme, elle offre un terrain d'élection aux claviers extravertis, toujours un peu excessifs, voire pompeux, de Rick WAKEMAN, mais n'est-ce pas en définitive ce que l'on a appris à apprécier chez lui dans la mesure où c'est ce qui lui ressemble et lui réussit le mieux ? De son côté, l'English Rock Ensemble se met au diapason du 'maître excentrique' pour déboucher sur un rock progressif honnête et convaincant. "The Diner Party", au démarrage et aux claviers multicolores bien pulsés, souffre d'une durée (3,41 minutes) qui ne l'aide pas vraiment à s'implanter dans la mémoire globale de l'album. Cette composition vaguement 'jazzy', qui aurait gagné à intégrer quelque digression, laisse regretter tout de même que A Gallery of the Imagination n'ait pas suivi jusqu'au bout cette démarche rock, certes peu inventive, mais inspirée et maîtrisée.

Malgré la faible proportion de titres instrumentaux, cet opus gagne l'homogénéité qui lui fait défaut par ailleurs grâce à ses huit chansons, domaine dans lequel pourtant la discographie de WAKEMAN ne brille pas particulièrement. Le recours à la chanteuse anglaise Hayley Sanderson, également saxophoniste (instrument absent ici), est une plutôt bonne idée car assez peu usuelle semble-t-il dans la carrière du claviériste. Dotée d'un timbre vocal agréable, elle me fait penser à la chanteuse Lesley Duncan, choriste entre autres chez Elton JOHN. D'ailleurs, "The Man In the Moon" (première chanson du disque) évolue dans le registre smooth et élégant de "If I Could Change Your Mind", la belle chanson conclusive de l'album Eve de THE ALAN PARSONS PROJECT, qu'interprétait avec classe justement Lesley Duncan. Hayley Sanderson n'est pas du genre expansive, ses interprétations demeurant sobres et mesurées, même si parfois elle se montre capable d'adopter certains accents de la Kate BUSH de The Kick Inside (1978) en hissant sa voix assez haut dans les octaves, comme dans le surprenant et réussi "The Visitation". Rick WAKEMAN lui a concocté des ballades qui respectent apparemment le registre dans lequel elle se sent le plus à l'aise, aux deux exceptions près que sont "Cuban Carnival", plus exotique et dansante que ses consœurs, mais trop anecdotique pour toucher durablement l'auditeur, et "A Day Spent On the Pier", plus enfantine dans l'esprit. Quand la formule fonctionne au mieux, cela donne la très belle "My Moonlight Dream" où la douce mélodie se voit enrichie par une construction musicale plus élaborée qui laisse le champ libre à une digression rock convaincante, conférant à ce titre la saveur d'une pop progressive, comme il eût été si tentant d'en déguster davantage dans le reste de l'album. Le programme se conclut sans doute sur l'une de ses meilleures pistes : "The Eyes of a Child" baigne dans une atmosphère à la fois douce et mystérieuse, entretenue par un piano recueilli d'une délicatesse peu commune dans la discographie de Rick WAKEMAN. Le chant parcimonieux se glisse dans ce tissu envoûtant avec une subtilité et une finesse qui confinent au quasi-chef-œuvre. Les instruments se détachent les uns des autres au point que même la guitare acoustique de Dave Colquhoun y gagne une résonnance naturelle contribuant à l'harmonie d'ensemble.

Si A Gallery of the Imagination est en mesure de satisfaire les auditeurs adeptes de ballades, de chant féminin et de belles mélodies, il souffre d'une disparité des styles, intentionnelle certes, qui ressemble plus à un manque de ciblage qu'à une variété des plaisirs auditifs. Les huit chansons composant l'essentiel du programme sont heureusement d'un niveau correct, voire très bon, et l'on regrette alors que Rick WAKEMAN n'ait pas assumé de réaliser un opus 'classique' de douze chansons. Les instrumentaux rock semblent dès lors presque hors de propos dans la mesure où ils brisent la cohérence instaurée par les chansons. Quant aux deux pistes pianotées par WAKEMAN, si elles correspondent au concept initial de notes génératrices d'images, leur sous-représentation au sein de l'opus les condamne à l'anecdote, ce qu'accentue malheureusement leur facilité d'exécution et de composition.

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   AIGLE BLANC

 
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- Rick Wakeman (claviers, samples)
- Hayley Sanderson (chant)
- Dave Colquhoun (guitares)
- Lee Pomeroy (basse)
- Ash Soan (batterie)


1. Hidden Depths
2. The Man In The Moon
3. A Mirage In The Clouds
4. The Creek
5. My Moonlight Dream
6. Only When I Cry
7. Cuban Carnival
8. Just A Memory
9. The Dinner Party
10. A Day Spent On The Pier
11. The Visitation
12. The Eyes Of A Child



             



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