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 Tori's Maze (924)

Tori AMOS - Fade To Red (video Collection) (2006)
Par AIGLE BLANC le 24 Avril 2023          Consultée 1085 fois

Fade to Red regroupe la vingtaine de singles de Tori AMOS depuis ses débuts prometteurs en 1992 ("Crucify") à 2005 ("Sleeps With Butterflies"). S'il ne s'agit pas pour autant d'un véritable Best Of, déjà paru en 2003 sous l'intitulé Tales From a Librarian -A Tori Amos Collection, il demeure une acquisition indispensable à tout fan de la chanteuse américaine, du moins fortement conseillée à qui voudrait découvrir le talent d'exception de cette songwriteuse-interprète fascinante. En effet, quoi de mieux pour explorer son univers que de parcourir l'ensemble des clips video d'une artiste accordant une telle importance au visuel de ses albums et à l'esthétique de ses tenues vestimentaires, en accord avec les personnages multi-facettes qu'elle incarne au gré de ses opus ?
Certes, le programme video-musical ne couvre que les quatorze premières annéees de sa discographie, de Little Earthquakes (1992) à The Beekeeper (2005) – soit 8 albums d'une richesse et d'une densité déjà suffisamment roboratives - mais, même si sa créativité n'a pas faibli jusqu'à aujourd'hui, affichant encore pas moins de 9 albums supplémentaires, il semble que ces derniers n'aient pas suscité de clips video à la hauteur de ceux réunis dans ce double DVD. L'art du clip video aurait-il dégénéré au point d'avoir abandonné toute ambition artistique ? C'est en tout cas l'impression qui domine quand on navigue sur Youtube où les rares clips officiels de la seconde partie de carrière de Tori AMOS affichent une médiocrité regrettable.

De 1992 à 2005, Tori ne se contente pas de livrer au fil de ses vidéos des produits de marketing, même de qualité, mais reprend pour ainsi dire les affaires là où les avait laissées sa divine consœur britannique Kate BUSH qui, très vite, avait compris, à partir de Hounds of Love (1985), l'importance de cet art hybride associant musique et cinéma, au point que ses derniers clips avaient acquis la qualité de véritables courts-métrages, de plus en plus soignés et ambitieux sur le plan cinématographique, jusqu'à l'apothéose que constituaient les sublimes vidéos musicales de ses albums Sensual World (1989) et The Red Shoes (1993). Kate BUSH demeure dans ce domaine à n'en point douter une pionnière qui ouvrit le champ des possibles à MADONNA et, surtout, à Mylène FARMER, Tori AMOS leur emboîtant le pas.
Le visionnement des dix-neuf clips constituant le programme de Fade to Red (environ 77 minutes) confirme avec acuité la complexité parfois dérangeante de l'univers de Tori AMOS en même temps que la puissance d'un talent fort singulier. Les vidéos ne suivant pas l'ordre chronologique des albums, cela permet des télescopages en série en lien avec les diverses incarnations de la chanteuse qui frôle parfois la schizophrénie, partant de la sentimentalité romantique de ses débuts, évoluant vers une sensualité trouble aux caractères névrotiques, devenue au fil des ans le réceptacle d'une folie cathartique plutôt radicale.
Cette chronique n'a pas pour ambition d'évaluer la qualité des singles rassemblés dans Fade to Red et, pour tout avis à ce sujet, je vous invite à parcourir les chroniques de notre cher confrère Erwin. Je me contente ici de mentionner la haute qualité des chansons en présence, dont certaines figurent parmi mes préférées de l'artiste : "Winter", "China", "Past the Mission", "Jackie's Strength", "Spark", "Rasberry Swirl", "God". Le programme de ce double-DVD également met particulièrement en valeur la variété des styles pratiqués par Tori AMOS, ce qui en rend le visionnage très intéressant et dynamique, tout en révélant la complexité de la chanteuse.
Entre 1992 et 2005, on compte pas moins de 14 vidéastes à la réalisation des clips de l'artiste, dont chacun apporte un éclairage sur l'univers de la musicienne en même temps qu'il l'inscrit dans sa propre démarche cinématographique, ces derniers et la chanteuse s'influençant réciproquement. Généralement, aucun des réalisateurs des clips ne prend l'ascendant sur les autres, et la plupart prennent en charge une seule commande. C'est ainsi le cas de Mike Lipscombe auteur du clip de "Caught a Lite Sneeze", de Eric Iferga à la tête de "1000 oceans" ou de Melody Mc Daniel qui signe la video de "God". Seules exceptions au tableau, figurent James Brown et Cindy Palmano dont nous pouvons par conséquent identifier et analyser le style visuel.

James Brown apparaît comme le videaste le plus narratif, ses deux clips "Jackie's Strength" et "Spark" (issus de l'album le plus dément de Tori AMOS, The Choirgirl Hotel) s'appréciant comme de vrais courts-métrages, aussi convaincants dans le drame amoureux ("Jackie's Strength") que dans le thriller hypertendu ("Spark"). Ce cinéaste a une façon personnelle de raconter une histoire, partant d'un événement dont il se garde de livrer les tenants et les aboutissants, maintenant secrets leurs cause et conséquences, et autour duquel il se met à broder des variations en se focalisant sur des détails microscopiques : la tentative d'évasion de la captive Tori Amos profitant de l'accident de voiture de son ravisseur dans "Spark" est décrite avec un soin particulier accordé aux insectes peuplant le sol de rochers et de mousse ; la fuite en avant de la mariée Tori dont la limousine qui la transporte à l'autel ne s'arrête pas à l'église où l'attend son époux est accompagnée de scènes de la vie quotidienne perçues au travers des vitres du véhicule, dans "Jackie's Strength". Ces personnes que croise la limousine ont toutes un conflit à régler au sein de leur foyer, qu'une caméra intrusive mais bienveillante débusque pour l'offrir à notre empathie. La qualité de ces deux clips autorise à regretter l'absence de James Brown par ailleurs dans le reste du programme.
Le cas de la photographe et styliste Cindy Palmano est très différent car elle détient le record de collaborations avec Tori AMOS. Non seulement, elle signe les photos des pochette et livrets jusqu'à The Choirgirl Hotel, soit les quatre premiers albums, mais signe par dessus tout pas moins de 4 video. Si d'aucuns pourraient se gausser du budget minuscule alloué aux clips de Cindy Palmano, j'estime que le manque de moyens magnifie en creux le style de la cinéaste qui n'a pas son semblable pour élaborer des images à la fois simples et dépouillées que rehausse un très joli sens chromatique, ses plans dénudés, sur fond blanc, conférant un relief saisissant à la chevelure rousse de Tori AMOS et à ses lèvres hyper-maquillées. La réalisatrice compose ainsi des plans souvent habités : la baignoire aspergée d'eau et dans laquelle entre Tori habillée jusqu'au bout des bras ("Crucify") ; la robe bleue sursaturée de Tori contrastant avec la blancheur immaculée de celle de la fillette qui l'accompagne dans un jeu de cache-cache enfantin où les ouvertures dans des parois blanches fragmentent joliement l'écran ("Silent All These Years") ; le monde de l'enfance retrouvée dans le magnifique et poignant "Winter" commencé dans la sobriété minimaliste de ses plans presque nus, alors que résonnent les arpèges d'un piano attendri, et s'épanouissant dans l'éclair multicolore d'un bouquet de fleurs aux pétales déversés sur le sol, alors que le jaillissement d'un orchestre imprévu agit sur la rétine et le coeur à la manière d'un orgasme accompagnant la mémoire retrouvée d'une Tori revenue de son introspectif voyage vers l'enfance, le regard chaviré de s'être reconnectée avec ses plus tendres années quand ses doigts menus parcouraient encore fébrilement les touches de l'immense clavier à explorer ; l'ouverture fantasmatique et poétique de "China", chef-d'oeuvre de délicatesse et de fantaisie retenue, où Tori, telle une sirène, ou plutôt une 'sealwoman', glisse sur la grève, le long d'un rocher, dans son justaucorps à pois bleus. Cindy Palmano n'y raconte aucune histoire, mais livre à nos sens émerveillés des plans aussi touchants que celui de Tori, les pieds dans l'eau, assise devant un piano de galets, construction onirique d'un artiste paysagiste dont la cinéaste ne filme que le dos et les épaules et que l'on voit s'affairer sur la grève, déposant des galets dans un ordre dont on ne perçoit l'organisation qu'à l'ultime plan, superbe, de Tori, dissimulée jusqu'à la taille par un bloc de galets s'étirant langoureusement le long de la plage, robe de pierre prolongeant son corps de sirène, alors que s'éteignent délicatement les dernières mesures musicales de la chanson. L'état de grâce !

Les autres réalisateurs ne déméritent pas pour autant : Sangi élabore son clip de "A Sorta Fairytale" autour des effets spéciaux numériques qui travaillent les décomposition-malformation-reformation des corps de deux créatures amoureuses, la femme réduite à son unique jambe et l'homme à son unique bras, tous les deux surmontés de leur tête. L'enjeu pour ce couple monstrueux consiste à tenter de survivre à un tel handicap qui entrave leur relation. A la fin, étalés sur le sable, au bord de la mer, enfin ils peuvent sentir leur corps retrouver sa plénitude, les membres absents finissant par se reformer. Le couple formé par Tori AMOS et l'acteur Adrian Brody (Le pianiste de Roman Polanski) contribue au charme de ce clip étrange.
Quant à Barnaby & Scott, ils signent avec "Rasberry Swirl" la video la plus déjantée du lot, ce qui n'est guère étonnant compte tenu du titre qui en est à la source, le plus tourmenté et psychotique de Tori AMOS. Dans un style cauchemardesque digne de David Lynch et de certaines visions du Jacob's Ladder d'Adrian Lyne, le duo de réalisateurs passe ses plans au hachoir pour mieux épouser les rythmes syncopés de la chanson. Le délire visuel, par moments réellement dérangeant, n'est pas sans rappeler l'univers onirique absurde de Lewis Caroll.
Mentionnons également la belle idée fondatrice de "1000 Oceans" où Tori, enfermée dans un parallélépipède de verre, ne peut qu'observer, impuissante, la violence et la misère du monde de la rue environnante, tandis que les passants la considèrent comme un poisson dans un aquarium. Si le monde extérieur apparaît dans toute sa détresse, celui de Tori dans sa bulle de verre n'est pas mieux loti, séparée des gens qu'elle est par les parois de sa prison de verre.
Si "Sleeps With Butterflies" bénéficie du design splendide d'une artiste japonaise qui intègre littéralement Tori dans ses oeuvres infographiques, la réalisation figée quant à elle empêche la magie de réellement fonctionner.
Tous les clips ne sont pas du même niveau, certains souffrant d'un manque d'idées de mise en scène et d'un script incertain ou insuffisamment développé. C'est ainsi le cas de la version américaine de "Cornflake Girl" qui ne parvient pas à dépasser ses clichés éculés sur un far west de pacotille où Tori et un groupe de filles jouent les cow girls sans réelle saveur autre que leur plastique de rêve. "Talula", chanson bizarre et assez incompréhensible, n'a pas non plus inspiré le cinéaste Mark Khor qui ne sait très vite plus trop quoi faire de son décor unique d'usine désaffectée.
Deux clips se contentent de montrer Tori AMOS au travail, l'un captant les moments intenses d'un concert, sur scène et dans les coulisses ("Bliss"), l'autre installée devant son piano et entourée de choristes en train d'entonner "Sweet the Sting" sur le mode gospel. Ce ne sont pas des video créatives, mais elles ont le mérite de montrer le rapport fusionnel et viscéral qu'entretient la chanteuse avec son instrument fétiche.

Cette collection de singles souvent imparables, rehaussés la plupart du temps par des clips inspirés et inventifs, témoigne de la créativité bouillonnante de l'artiste. C'est un indispensable tant pour les fans de Tori que pour les mélomanes et cinéphiles.

P.S : Du point de vue de son programme interactif, Fade to Red innove réellement en proposant l'option inédite de visionner les clips de Tori AMOS avec les commentaires en voix off sous-titrés de l'artiste en personne, qui livre ainsi une flopée d'anecdotes très intéressantes sur chaque tournage, dévoilant quelque peu parfois le sens profond de ses chansons.

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   AIGLE BLANC

 
  N/A



- Réalisations :
- Jake Scott (titre 1)
- Cindy Palmano (titres 2, 5, 10 15 & 19)
- James Brown (titres 3 & 6)
- Sanji (titre 4)
- Laurent Briet (titre 7)
- Nancy Bennett (titre 8)
- Earle Sebastian (titre 9)
- Mike Lipscombe (titre 11)
- Eric Iferga (titre 12)
- Melody Mc Daniel (titre 13)
- Lauren Haynes (titre 14)
- Barnaby & Scott (titre 16)
- Mark Kohr (titre 17)
- Alex Smith (titre 18)


- Dvd 1
1. Past The Mission
2. Crucify
3. Jackie's Strength
4. A Sorta Fairytale
5. Winter
6. Spark
7. Sleeps With Butterflies
8. Cornflake Girl
9. Hey Jupiter
10. Silent All These Years
- Dvd 2
11. Caught A Lite Sneeze
12. 1000 Oceans
13. God
14. Bliss
15. China
16. Rasberry Swirl
17. Talula
18. Sweet The Sting
19. Pretty Good Year



             



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