L’artiste autrichienne SOAP & SKIN doit être habitée par une vieille âme. C’est en tout cas l’impression qui domine à l’écoute de Lovetune For Vacuum , son premier album studio sorti en 2009 et qu’elle a enregistré alors qu’elle est à peine majeure. La pochette montre la chanteuse telle une héroïne tragique ; découragée, grave et triste ; un prélude parlant qui laisse entrevoir l’aspect somptueux du projet.

Au piano, son instrument de prédilection, l’album s’ouvre doucement par le titre "Sleep" avant de poursuivre sur "Cry Wolf" qui sonne comme une berceuse intimiste un peu sombre. On glisse ensuite sur le terrain de la mythologie grecque dans "Thanatos", incarnation de la mort, une composition extrêmement tourmentée qui évoque à la fois la folie et la puissance ( Ages of delirium/Curse of my oblivion ), comme si une force maléfique s’était emparée du piano et avait ajouté un énième degré d’intensité à la voix de la chanteuse.

Les arrangements se font plus calmes au son du piano et des violons tout doux de "Extinguish Me", puis c’est sur sa version majestique et presque théâtrale d’une "Marche Funèbre" lugubre que les violons houleux et la cadence de la chanteuse nous effraient et nous hypnotisent en même temps. Cruellement triste, "Mr. Gaunt Pt. 1000" remet le piano au centre de l’instrumentation pour accompagner la voix de SOAP & SKIN sur le titre le plus court du projet.

Simple et très beau, le piano de "The Sun" hante avec tant de facilité, entre détresse et mort imminente, qu’on penserait presque que la chanteuse nous jette un sort. Sinistrement prophétiques, les notes deviennent urgentes et chaotiques dans un ensemble qui présage le pire. Il y a une tension couplée à un sentiment de grandeur sur "Turbine Womb", une instrumentale troublante débutant par un piano dévastateur qui relève tout simplement de la métaphysique, avant de s’achever sur des éléments électroniques et des percussions qui ajoutent un côté mécanique au titre. "Cynthia", magnifique aussi, s’enveloppe de tant d’émotions et des murmures de la chanteuse qu’on en oublie tout.

"Fall Foliage" est une piste grandiose et complexe qui mixe la cadence austère du piano et une électro pulsante, pour un résultat qui semble venir d’une autre planète. Le piano sobre de "Spiracle" donne le champ libre aux paroles si particulières et à la voix truculente de la chanteuse qui prend de l’ampleur et éclate en demandant de l’aide face à ses insécurités.

L’instrumentale "Ddmmyy" faite d’éléments électroniques, de loops de sons et de clics est une expérimentation oppressante et sensationnelle de la mélancolie du chaos, un contraste saisissant avec le reste du projet. Le disque se termine sur la piste "Brother Of Sleep", un safe space qui invite au rêve et allie piano, violons et flûtes électroniques dans un ensemble qui convoque quiétude et lumière, comme l’écho d’un royaume éloigné. La musique de SOAP & SKIN est rarement simple et nécessitera peut-être plusieurs écoutes pour en mesurer la complexité et les nuances.

Toujours trop court mais concis et rondement mené, Lovetune For Vacuum est une plongée émotionnelle qui vous prend aux tripes dans l’univers énigmatique et singulier de SOAP & SKIN. La musicienne semble remplir le néant de quelque chose de tangible par ses expérimentations musicales et ses mélodies minimalistes au piano. Souvent sinistre, son utilisation des instruments et des sons est toujours réussie et les structures de ses chansons sont inhabituelles, peintes d’une poésie pure, mystérieuse et attachante.
Certainement pas pensé pour les âmes sensibles, Lovetune For Vacuum est un album avant-gardiste, original et parfaitement rythmé qui invoque aussi bien des frissons d’extase que de stupéfaction, et ne vous laissera pas de marbre.