Malgré deux albums déjà édités, The EX ne ralentit pas sa cadence infernale en cet an de grâce 1983, hibernant à la campagne pour improviser, écrire et enregistrer, étoffant ainsi un nouveau répertoire dont une partie avait déjà été testée pendant les prestations en public.

Blueprints For a Blackout. Des plans en vue d’une censure ? Ou dans le cadre de quelque chose de plus gros ? Le terme blackout peut en effet revêtir un sens plus ou moins concret selon le contexte, étant employé pour désigner ces coupures de courant géantes qui peuvent toucher un quartier voire une ville entière. Via la jaquette proposée, on peut effectivement penser à des actions potentiellement belliqueuses.

La photographie utilisée immortalise vraisemblablement une femme, habillée en robe de mariée et armée d’une imposante mitraillette prenant place dans un parfait contraste entre deux bouquets floraux. Un masque à gaz oblitérant son visage et ce qui ressemble à un brassard ornant son bras gauche et floqué du A symbolisant l’anarchie complètent son équipement hétéroclite. Ce cliché est emprunté au documentaire suisse Heute Und Danach, difficile d’en trouver trace nette sur le Net malheureusement, malgré quelques recherches appuyées. Ce titre est aussi employé pour titrer un ouvrage consacré à la scène punk underground helvète, je ne sais pas si les deux éléments sont liés, mais témoignent ainsi Stephan EICHER ou Franz TREICHLER des YOUNG GODS.

L’ouverture du livret confirme la présence toujours prégnante d’un ingrédient politique irriguant abondamment le propos. Les visuels mettent bout à bout champignons nucléaires, hommes politiques visiblement déconnectés des réalités, zones de guerre (celle offrant d’ailleurs son cadre au No Sanctuary d’AMEBIX) ; une horreur à échelle humaine matérialisée, y compris sur le disque compact via ces deux infirmières examinant des bébés chaussés d’imposantes lunettes dans un but inconnu, sans doute en vue d’expériences inavouables. En outre, la destruction du squat Wyers à Amsterdam, le 14 février 1984, décidée par le maire Van Thijn – surnommé Von Swine, je vous laisse le soin de traduire ce propos pour le moins porcin – est également décrite.

Situé au cœur de la ville, le vaste bâtiment de bureaux Wyers commença à être squatté en octobre 1981 après une inoccupation totale d’un an et demi. Il devint rapidement un lieu de brassage où on pouvait vivre, travailler et consommer nourriture véritable ou spirituelle à travers la présence de workplaces, restaurants, divers magasins, une galerie d’art et même une salle de concert. Jusqu’à ce que la mairie ne décide d’en faire un Holiday Inn ! Aucun argument politique avancé par les occupants ne saurait infléchir ce décret, les élus ne proposant qu’une alternative aux conditions inacceptables et se réfugiant derrière les verdicts juridiques légitimant la destruction. Le communiqué se termine par un avertissement soulignant qu’ils peuvent détruire un bâtiment mais pas nos idéaux.

Musicalement, Blueprints For a Blackout commence à se démarquer nettement de ses prédécesseurs, suivant en cela le sillage tracé par les réalisations récentes des frères d’armes anglo-saxons CRASS (Christ : The Album en 1982 puis Yes Sir, I Will un an plus tard). Quatrième disque des EX et premier double, il s’avère ambitieux (dix-neuf titres pour plus d’une heure de musique !) et aventureux, le dernier titre "Scrub That Scum" culminant à presque neuf minutes et dont on devine qu’il fut sans doute improvisé, un métronome offrant toutefois les interventions fort à propos d’un saxophone, dernier indicateur d’un son alors en pleine mutation, convoquant un véritable orchestre additionnel.

En effet, la basse tient toujours un rôle prépondérant, véritable charpente prenant la forme d’un câble électrique par instants (le très bon titre éponyme en tête !), mais cet anarcho-punk se teint largement de couleurs industrielles et expérimentales en invoquant instruments atypiques (accordéon, marimba), boucles et même field recordings comme un baril d’huile dévalant des escaliers, nous faisant ainsi songer aux travaux réalisés par EINSTURZENDE NEUBATEN à la même époque.

Parfois dansant, souvent inconfortable mais toujours intense et par dessus tout intègre. Blueprints For a Blackout est un album dont on se félicite de sa rencontre, pour paraphraser une des nombreuses dénominations espiègles choisies affublant les pièces, jeux de mots légion et faciles à déceler quand bien même vous seriez un anglophone approximatif. La prochaine étape sera toutefois moins évidente linguistiquement parlant.