S'il n'est pas le dernier album du line-up classique, ni tout à fait annonciateur de grands changements, Cruel Sister est sans doute l'ultime disque heureux de PENTANGLE à une époque bénie de la musique. Un de leurs classiques, avec au moins deux des trois qui ont précédé dont l'excellent Basket of Light (1969), tous produits par Shel Talmy dont ce groupe est le dernier projet régulier avant que le bonhomme ne se dirige vers les milieux du cinéma et de l'édition littéraire.

Il est remplacé au pied levé (pour ce quatrième effort en tout cas) par Bill Leader, producteur attitré des débuts du revival folk anglais, au cours des années 60, connu pour ses réalisations 'roots' et artisanales, avec qui Bert Jansch et John Renbourn ont déjà collaboré. Le résultat pour PENTANGLE est un disque plus simple dans les structures en apparence, rarement collectif surtout. Un peu comme si Jacqui McShee voulait enregistrer un album solo avec ses compères musiciens en renfort, pour les quatre premiers titres du moins.

Confirmation d'une parenthèse très féminine, "A Maid That's Deep in Love" ouvre le bal folk dépourvu de composition originale cette fois-ci, avec une mélodie célèbre empruntée au répertoire celtique, des arpèges solaires et une guitare électrique soulignant le chant de la belle. Terry Cox n'officie qu'au triangle, la contrebasse incantatoire de Danny Thompson résonne fort mais semble mieux canalisée que d'ordinaire, tandis que McShee apparaît des plus captivantes.

Enchaînant direct, celle-ci entonne seule a-cappella le fort joli "When I Was in My Prime", puis un picking s'insère galamment pour introduire "Lord Franklin", menée par la voix douce de John Renbourn, aux intonations nasales. Bert Jansch y joue de la concertina en fond, et Renbourn, déjà fort de son accordage en open tuning, ajoute un solo de guitare électrique du plus bel effet tandis que McShee s'illustre par des fredonnements classieux.

Les habitués du jaaaazz s'y retrouveront peut-être un peu mieux sur "Cruel Sister", un des plats de résistance du disque, ballade majestueuse, répétitive certes mais à la mélodie touchante, tandis que l'ensemble des membres de PENTANGLE revient petit à petit. Sur sept minutes pétries de récit bucolique et sanglant du XVIIème siècle (une jeune femme noie sa soeur dont elle est jalouse), les belles voix médiévales de Jansch et Renbourn (ce dernier officiant au sitar) répondent à la chanteuse en beauté onirique, tandis que Thompson s'éveille à sa manière et Cox passe du gockenspiel à la batterie fournie.

Reste le tout aussi excellent mais différent "Jack Orion" qui renvoie aux années pré-PENTANGLE puisque Bert Jansch l'avait déjà enregistré pour son album du même nom en 1966, assisté de John Renbourn. Un morceau-face, occupant 18 minutes, soit deux fois la version de Jasnch seul. C'est lui qui mène la danse, plus fidèle au jazz forcément, avec d'emblée une contrebasse de caractère, tandis que Renbourn puis McShee fournissent les harmonies. L'entrée de cette dernière est une réussite totale, preuve de transitions bien fluides sur ce disque magique !

Tandis que Cox impose une frappe de plus en plus tribale à la batterie, survient une variation rock où Thompson joue à l'archet, Renbourn plaçant de la distorsion sur sa guitare. Encore meilleure est la partie médiévale qui s'ensuit, les deux guitaristes allant si loin dans leur délire qu'ils jouent eux-mêmes des flûtes à bec ! Après quelques tours instrumentaux de plus, Jansch ferme le cycle comme au début, malgré encore une splendide coda de lui seul avec McShee, s'enfuyant doucement. Bien que décousu, misant moins sur la force délurée du groupe en action sur les premiers albums, Cruel Sister s'avère être, grâce à ses choix de forme, la plus grande oeuvre de PENTANGLE.