À titre personnel, SÜEÜR gardera à jamais un statut particulier, il s’agit d’une de ces étranges histoires où le hasard joue un rôle prépondérant et inattendu.

Un achat basé sur aucun critère fondé si ce n’est cette pochette explicite et effectué après un retour d’un lointain voyage – canadien si on veut être précis –, qui se transformerait bientôt en un fidèle compagnon de vie, pour les terribles "MTM (Sur Ma Vie)" et "Peut-Être" essentiellement, ne nous mentons pas, les playlists de mon iPod les incluant encore aujourd’hui, avant de devenir mon premier article officiel en public, une publication ne me semblant toujours pas infamante près de quatre ans plus tard. J’ai par la suite continué à scruter ce projet avec intérêt bien qu’il me semblât avoir atteint son pic en 2020, trois ans suivant sa formation pendant la canicule de 2017 qui le baptisa naturellement.

Un projet devenu la créature quasi-exclusive de Théo CHOLBI entre-temps après une relative mise en sommeil pendant la pandémie même si les crédits mentionnent encore Florian SERRAIN à la basse. Un Théo qui, outre le fait qu’il soit le demi-frère de Damien SAEZ – tiens, tiens… ceci pouvant expliquer quelques champs lexicaux sombres – déroule également une carrière de comédien, tournant pour Larry Clark, Katell Quilévéré ou Dominik Moll, et développant ainsi pleinement ses occupations artistiques diverses.

Sorti en 2022, Ananké est le second longue-durée de SÜEÜR. Son mystérieux intitulé emploie un mot issu du grec conceptualisant un évènement dont la probabilité de se produire est quasi-certaine, devenant ensuite plutôt logiquement dans la mythologie hellène une allégorie du destin. L’idée s’oppose frontalement au skholè, notion de temps libre prêtant pourtant aussi de manière assez surprenante sa racine au mot école et ses dérivés syllabiques. Le terme, non content d’intituler l’aléatoire pièce terminant ce disque, est idéal afin de qualifier cette photographie utilisée en tête de gondole où figure un juvénile CHOLBI, guitare sur les genoux mais mine chafouine, obscurité transpercée par une flammèche consumant le coin gauche du cliché. La probabilité de voir le jeune homme s’investir dans la musique était ainsi élevée, aux frontières de la fatalité. Une musique se parant de jeux de contraste élevés, parfois difficile à accoucher ou gorgée de pessimisme.

En effet, SÜEÜR poursuit son exploration d’un univers paradoxal : nocturne cependant peu regardant sur les néons douteux éclairant timidement les recoins humides de son night-club glauque peuplé de personnages plus ou moins fréquentables, monde duquel les sentiments ne sont pas totalement absents mais contradictoires, ne sachant choisir parmi amours contrariés, non-réciproques ou à creuser au-delà d’une obsession sexuelle prégnante, les nombreux doubles-sens lyriques renvoyant inévitablement aux textes déclamés par Alain BASHUNG voire Serge GAINSBOURG.

D’Ananké, quelques titres marquants se dégagent naturellement, n’atteignant toutefois pas le niveau des gemmes au préalable citées et envoyées via le premier longue-durée éponyme. L’équilibriste "Noir = Dark" et son riff comme emprunté aux SMASHING PUMPKINS oscillant entre rêverie et déprime, le souvenir de voyage "Saragossa" et son imposante ligne de basse, "Arrêt d’Urgence" peignant un décor cinématographique où les duels entre cow-boys semblent légion (seulement qu’utilisent-ils en guise de revolvers ? …) ou la prière "Clémence", instant minimal et quasi-liturgique qu’observe avec bienveillance Jacques BREL. Seul le diptyque concernant la drogue ("Tipi" puis… "Drogue") crée un agacement teinté de malaise, peut-être le but non avoué recherché par son auteur.

Un disque tel un acrobate sur son fil, attirant autant qu’il peut repousser en fonction des humeurs, des grèves ferroviaires voire de la forme oblongue des cumulo-boobus en présence, vestiges d’un orage violent ayant soudainement frappé cet Éden incertain.