AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Avant que le studio Ghibli ne déploie ses ailes et qu’il emplisse les cieux de dirigeables rêveurs et de princesses combattantes, il y eut un souffle. En 1984, Nausicaä De La Vallée Du Vent, souffle d’images, de musique et de vent, marque la première collaboration entre Miyazaki et HISAISHI. Cette union est fondatrice et donne naissance à une œuvre musicale déjà porteuse de toutes les graines à venir. Le succès du film est tel qu’il permet, par la suite, en grande partie, la création du studio Ghibli.

Ici, commence l’alchimie. Si la bande originale n’atteint pas encore la pleine puissance émotionnelle des chefs-d’œuvre ultérieurs, par des sonorités un peu datées, elle en dessine les lignes de force : mélange d’orchestre et de musique électronique, textures variées et une capacité unique à évoquer un monde aussi grandiose que fragile.

Le film et la musique, indissociables, plongent dans un futur lointain et imaginaire où l’humanité survit morcelée en plusieurs royaumes. La forêt toxique, Fukai, peuplée d’insectes géants s’étend. Ce grand personnage, compatissant et courageux, qu’est la princesse Nausicaä, vit dans la vallée du vent et se bat pour un monde harmonieux et paisible. Et pourtant, rien ici n’est manichéen : la nature y est dangereuse mais pas malveillante. C’est une ode à la nature et la musique d’HISAISHI épouse cette vision. Loin de sombrer dans des partitions sombres, il choisit l’élévation et l’onirisme. Le thème principal nous fait entrer, dès l’ouverture, avec "Nausicaä The Valley Of The Wind", dans un monde suspendu. Le piano et la harpe dessinent un souffle limpide, les cordes s’élèvent, amples et une rythmique électronique vient ancrer l’ensemble dans une esthétique fine. Ce thème, à la fois lumineux, aérien et épique, incarne la quête de Nausicaä et sa capacité à comprendre le monde avec le cœur.

La bande originale est traversée par un orchestre et la musique électronique des années 80. Cela donne naissance à des pièces aussi diverses que complémentaires. Dans "Stampede Of The Ohmu" la tension éclate : synthétiseurs saturés, guitare électrique, c’est un morceau d’action et d’urgence, presque industriel. À l’inverse, "The Valley Of The Wind" installe une atmosphère étrange et contemplative avec ses sonorités orientales avec sa cithare et les respirations synthétiques. Le thème de la vallée du vent revient dans "The Princess Who Loves Insects" porté par des cordes aériennes. Une mélodie typique d’HISAISHI qui apaise. Puis, sans que l’on s’y attende, la musique bascule et retourne vers un univers proche de "The Valley Of The Wind" dans un style new age.

La guerre approche, et, avec elle, la musique se tend. "The Invasion Of Kushana", composé presque exclusivement au synthétiseur, débute dans une planante étrangeté avant que les cuivres tonitruants n’annoncent le fracas. "Battle" poursuit cette montée en puissance avec une orchestration faite de percussions lourdes et de motifs rapides. Le conflit, toutefois, est mis en balance avec des instants de grâce. "Contact With The Ohmu" est un moment poignant. Entre orchestre et synthétiseurs, s’élève le chant pur d’un enfant, évoquant l’âme de Nausicaä dans un moment suspendu, presque sacré.

L’orgue synthétisé fait vibrer l’étrangeté du Fukai dans "In The Sea Of Corruption". La musique s’élève, enveloppante et mystérieuse. "Annihilation Of Pejitei" est fait de percussions électroniques au caractère spirituel alors que "The Battle Between Mehve And Corvette" utilise un orchestre pressé et pressant. HISAISHI joue avec l’ambiguïté du sublime dans le morceau "The Resurrection Of The Giant Warrior" où la mélancolie en première partie finit par laisser place à une ambiance menaçante traduite par des cuivres et des cordes dont la harpe.

L’ouverture de "Nausicaä Requiem" est grandiose puisqu’il s’agit de la "Sarabande" de HAENDEL, prélude à une résurrection. La voix chantée de l’enfant réapparait, évoquant toujours la pureté. Les flûtes, le piano aux accords simples et répétitifs, les harmonies composent une musique éthérée, douce, bouleversante et hypnotique. "The Bird Man" referme la pièce avec élégance. Le thème de la vallée du vent revient une dernière fois dans une version pour piano et cordes. Une fin où l’enchantement l’emporte sur la douleur.

Si la bande originale de Nausicaä De La Vallée Du Vent n’a pas encore la maturité émotionnelle des œuvres à venir, elle en porte déjà la lumière. Elle est hypnotique, variée, surprenante, mystique et expérimentale dans ses textures. Ce premier vent pose les fondations de tout ce qui fera la richesse du duo Miyazaki HISAISHI. Nausicaä, l’héroïne, ainsi que la musique concentrent à elles seules autant de motifs qui se disperseront et refleuriront, film après film, dans leur parcours commun.