Traumatisme ou opportunité nouvelle, toujours est-il que même plusieurs générations plus tard, certains artistes sont encore profondément marqués par l’exil de leurs ancêtres. C’est le cas des membres de Canadiens de GREAT BIG SEA (GBS), dont le départ plus ou moins forcé des ancêtres pour rejoindre la région de Terre-Neuve dans le courant du 19ème siècle reste, malgré dix albums au compteur, une source d’inspiration intarissable. Que ce soit par le biais de leurs compositions personnelles (la formidable ballade England) ou l’adaptation d’anciens chants de marins (Banks of Newfoundland, Rocks of Merasheen), les GBS aiment à vivre et revivre à travers leur musique la formidable épopée de leurs ancêtres. Le départ vers l’inconnu puis la découverte et l’apprivoisement de cette nouvelle patrie.

Néanmoins, et contrairement à ses premiers albums intégralement consacrés à la mer et à ses fabuleuses histoires, GBS a pris, tout comme sa musique, le temps de mûrir et de s’ouvrir à son tour à de nouveaux horizons, musicaux cette fois. La pop des Canadiens s’est affinée (d’aucuns diraient formatée) et, en même temps, GBS ne s’est jamais autant radicalisé musicalement que sur ce Fortune’s Favour, dont certains morceaux énervés sont les plus rock que le groupe ait composés jusqu’alors (Oh Yeah, Straight to hell). Les plus rock, et parmi les plus réussis, offrant à cet album une énergie bienvenue et salvatrice.

Salvatrice car, dans l’ensemble, GBS a bien du mal à entièrement séduire avec sa pop agréable, recherchée, mais aussi parfois un poil évidente et n’offrant qu’un intérêt limité. Ne vous y trompez pas, le groupe sait faire mouche avec des morceaux inspirés, superbement construits et interprétés. Love me tonight est un exemple de ces réussites. Flûte aérienne, ligne de chant imparable, mélodie folk-pop subtilement construite, ce morceau constitue une entrée en matière quasi-parfaite. Walk on the moon, Here and now, Dream to live, dans la même veine, constituent un répertoire imparable et efficace à l’écoute duquel il est difficile de rester de marbre et de ne pas rentrer dans la danse. Néanmoins, Fortune’s Favour souffre de la présence de morceaux bien plus dispensables : Banks of Newfoundland, de par son côté traditionnel finalement trop prononcé, casse complètement l’homogénéité de cet opus et nuit à la qualité de l’ensemble. La ballade Heart of stone, intimiste et à la construction désarticulée, fait également partie de ces quelques faiblesses qui déçoivent et empêchent Fortune’s Favour d’atteindre le niveau qualitatif de certains de ses prédécesseurs.

Album finalement à la fois le plus pop et le plus rock de GBS, Fortune’s Favour n’est pas pour autant ce que nos Canadiens ont produit de meilleur à ce jour. Reste malgré tout que cet opus permet aux amateurs de folk-pop dansante et émotionnelle de passer un agréable moment, s’ils parviennent à se procurer cet opus, injustement non distribué chez nous...