« On n'a rien inventé » disait Éric Aldéa dans une interview, il y a de ça quelques années. Certes, mais il n’empêche que ZËRO reste un groupe d’aventuriers. Toujours en quête d’exercices inédits, en chasse sur de nouveaux terrains. Avec un certain phrasé, qui plus est immédiatement reconnaissable. Malgré le départ du guitariste François Cuilleron, San Francisco poursuit encore en ce sens et dépasse même l’objectif. L’œuvre est protéiforme et se dérobe sans cesse. Pourtant, bien dans la continuité de Places Where We Go In Dreams, elle nous renvoie dans l’approche à Joke Box et son aspect janusien. Les climats éthérés font face aux charges massives et aux courses tortueuses, ZËRO se bat sur tous les fronts...

... et perd la bataille. San Francisco est loin d’être un mauvais disque, mais nous ne pouvons que lui adresser le même reproche fait à Joke Boxe. À vouloir trop échantillonner sa musique et montrer qu'il est capable d’exceller dans chaque domaine, le groupe perd en cohérence. À ce titre, nos Lyonnais s’étaient montrés bien plus habiles sur Hungry Dogs et Places Where We Go In Dreams dont les variations restaient aussi subtiles qu’intelligentes. Au contraire, San Francisco passe trop souvent du coq à l’âne sans se soucier d’un quelconque fil rouge, ainsi plusieurs fois rompu. D’ambiances vaporeuses (« Lac Baïkal », « Jed Snowdog ») en rock acéré (« Boogie Tango Thrill », « Cracking »), de progressions reptiliennes (« The Drum Thing ») en jazz nocturne (« San Francisco »), l’auditeur ressort trop souvent de l’œuvre pour pouvoir prétendre à une évasion complète.

Cependant, il n’y aura guère de critiques à formuler quant aux morceaux eux-mêmes. À l’exception notable de l’assommante « Ich … Ein Groupie », le trio assure derechef très bien la manœuvre. « Last Bills For Lapdance » lance l’album à toutes berzingues. La cavalerie magyare fond sur l’ennemi, le sabre au clair. La neige se teint peu à peu d’un rouge vif. Fièrement, nos hussards brillent au soleil hivernal de « The Drum Thing ». Plus tard, c’est au tour de « Boogie Tango Thrill » de reprendre avec le même appétit brutal et de bombarder sans concession. « Cracking » termine le travail dans un déluge de rivières ensanglantées, de scalpels luisants et de cieux déchirés. « Jed / Snowdog » poursuit enfin sur l’horrible champ de bataille, jonché de cadavres et de lances brisées, dans le calme inquiet d’une nuit glacée. Les mystérieuses brumes du « Lac Baïkal » avaient laissé espérer une toute autre sérénité et supposer des dangers autrement plus impressionnants qu’un final partagé entre une récréation sirupeuse (« Cheap Dream Generator ») et une soirée jazz un peu trop longue (« San Francisco »).

ZËRO a-t-il donc atteint le sommet de son art entre 2011 et 2014 ? Peut-être bien. Car, malgré l’évidente maîtrise, San Francisco relance le quatuor devenu trio sur les routes de l’incertitude. On tente, on tâte et on repart : une démarche qui ne sied guère au groupe qui estime vouloir faire de chaque morceau une pièce profonde, un monde à part entière. Il est rarement aisé de faire coïncider les deux et lorsque le bordel semble un peu trop ordonné, il perd de même en vigueur et en mordant. Et à la soudaine surprise d’un « San Francisco » ou d’un « Ich … Ein Groupie » succède bien vite la moue de l’auditeur peu convaincu.

Ici d’Ailleurs voit en San Francisco « l’album majeur dans l’histoire » de ses poulains. On cherche encore pourquoi. Peut-être n’est-ce finalement que cette célébration, celle des dix ans du groupe, qui primera sur le reste. Car ce quatrième skeud contentera en effet quelques temps son acquéreur, mais ne l’empêchera pas longtemps de retourner « là où nous allons en rêve » !

3/5
À écouter : « Last Bills For Lapdance » et « Lac Baïkal »