CAMERA a finalement respecté le schéma. 2012, Radiate! présente le projet, impressionne déjà, sans toutefois être exempt de quelques maladresses. 2014 ensuite, Remember I Was Carbon Dioxide creuse le même sillon, épate encore plus et gomme les défauts du premier jet. 2016 enfin, Phantom of Liberty s'envole cette fois-ci beaucoup plus loin, assez loin même pour presque ne plus ressentir les radiations du dioxyde du carbone. Ha ! On oserait presque affirmer tenir entre nos mains l'un des meilleurs albums du genre. Bureau B tient ici la relève d'une ancienne avant-garde grande inspiratrice certes, mais désormais proche du trou.

Remember I Was Carbon Dioxide n'avait finalement fait qu'explorer les derniers recoins les plus éloignés d'une galaxie aux limites bien définies par Radiate!. Il a donc fallu que CAMERA s'exile sur une autre Voie Lactée pour s'affranchir des carcans de la première. Sans renier ses origines, le duo s'y convertit à de nouvelles cultures et religions. Le peuple de Popol Vuh offre son hospitalité légendaire (« Festus »), les ermites de Can professent leur étrange dialectique (« Ildefons ») et la caravane Agitation Free propose sa khaïma pour la nuit (« Reindenken / Raus »). Le motorik des Grands Anciens - ô sacrilège - s'accélère (« Nevernine »), le « Tjamahal » rougeoie de mille flammes tandis que la horde automatisée du « Tribal Mango » érige mécaniquement son totem. Phantom of Liberty prend des risques en s'engageant vers des univers nouveaux et tout cela paye merveilleusement bien.

CAMERA maîtrise parfaitement son sujet. Le défaut majeur de Radiate! - et dans une certaine mesure celui de Remember - résidait dans la durée exagérée de certains morceaux. Pour une fois, les Allemands savent abréger. Musique répétitive ne rime pas forcément avec compositions de douze kilomètres ! Outre les expérimentations, cela permet également de se concentrer sur la richesse des arrangement. Et ici encore, il y a de quoi se montrer élogieux. Phantom of Liberty est immersif à s'y perdre. « Affenfaust » et « Fröhlichkeit » se constellent de nébuleuses et emportent sans peine. Du plus méditatif (« Festus ») au plus nerveux (« Nevernine »), de la béatitude (« Reindenken / Raus ») au groove astral (« Ildefons »), CAMERA abat ainsi un jeu des plus sidérants par la suite. L'arrivée à l'obsédante « Tribal Mango » provoque d'ailleurs spasmes et tremblements.

Neokraut, c'est en fin de compte un des termes que retient le groupe berlinois pour qualifier sa musique. Une façon de dire que malgré des influences consciencieusement absorbées, on ne regarde plus vers les seventies et tout cela n'a rien d'un hommage. CAMERA ne révolutionnera rien mais actualise le propos de formations qui n'auront finalement pas eu la possibilité – la volonté pour certaines – de le faire. Cette démarche rappelle assez celle de Beak, un des multiples projets de Geoff Barrow, dont « Tribal Mango » se rapproche relativement ici. Malgré la grande qualité de ses œuvres, Beak est néanmoins d'une grande froideur peu engageante de prime abord, ce que n'est jamais Phantom of Liberty. Le sol se dérobe et le trou noir vous aspire avec habileté vers ce qui restera sans doute comme une des futures référence du krautrock, style maintenant bien loin de toute ringardise !

4,5/5
À écouter absolument : « Ildefons » et « Nivernine »