Explorer la discographie colossale de CHICAGO, c’est se laisser embarquer dans une folle aventure, aussi vaste qu’exaltante. The Chicago Transit Authority reste une claque magistrale, un disque qu’on peut écouter en boucle, un disque qui ose tout. La traversée est jalonnée de perles : des chansons qui assomment par leurs prises de risque et leur complexité rythmique. Il y a bien de longues années d’égarement et une stérilisation sonore inquiétante mais personnellement, je suis prête à leur pardonner. En 2022, ils ne sont plus que trois du septuor d’origine : Robert Lamm, capitaine claviériste qui tient la barre du paquebot contre vents et marées ; Lee Loughnane à la trompette et James Pankow au trombone. Après des années à déléguer, ils reprennent enfin les commandes. Fini les collaborations interchangeables, les expérimentations douteuses et les disques anonymes. Born For This Moment marque leur retour à la manoeuvre. Et si ce n’est peut-être pas encore le grand soir, j’ai envie de croire que cette reprise en main peut rendre leur musique meilleure.

Vous voulez la mauvaise nouvelle ou la bonne ? Commençons par la mauvaise. Parce qu’il y en a une, et elle s’impose assez vite à l’écoute du disque. Il y a des chansons franchement oubliables, fades, ou simplement mal écrites. "You’ve Got To Believe" coche tristement les cases du morceau générique et la ballade "Make A Man Out Me" n’arrange rien, chantée Neil Donell qui a récemment rejoint le groupe. C’est toujours lui qui pousse la chansonnette dans "If This Isn’t Love", un morceau digne d’un navet de seconde zone avec ses arrangements lisses à en pleurer.

Il y a encore quelques chansons qui restent en deçà de la moyenne : par exemple "House On The Hill" et son ambiance mystérieuse qui refuse de décoller, ou encore la chialante "Someone Needed Me The Most" qui suit la même logique. Un joli titre, une jolie idée, une jolie voix… mais rien à raconter. Enfin, "Safer Harbours" se veut rassurante et posée, et ce serait mentir que de nier qu’une jolie douceur se dégage de ce moment, malgré une instrumentation et une écriture sans surprise. On reconnaît CHICAGO mais on peine à y entendre sa singularité.

Bref, il y a des failles, et pas des moindres mais voici la bonne nouvelle : tout n’est pas à balancer par dessus bord. Et moi, c’est justement ce que j’espérais. Le reste de l’album s’en tire un peu mieux. "Our New York Time" et "She’s Right" sont relativement passe-partout mais nous avons aussi droit à quelques chansons qui, sans atteindre les sommets du CHICAGO des années 70, semblent plus inspirées et ont le mérite de proposer quelque chose de senti et d’élégant, comme l’éponyme "Born For This Moment", une ballade à la structure et à la mélodie très Lamm-ienne. Les cuivres sont discrets mais viennent aérer l’ensemble avec une belle finesse, apportant cette respiration typique du CHICAGO qui sait prendre son temps. Et surtout, au coeur du morceau, un break instrumental vraiment cool et inattendu, qui dynamise la chanson en l’extirpant de sa douceur initiale.

Le seul single de l’album, "If This Is Goodbye", est une ballade dont les arrangements de cordes sont particulièrement intéressants et dans le même registre, il y a "For The Love" qui mérite qu’on s’y attarde pour ses violons qui apportent une touche émotionnelle sans jamais prendre le dessus. J’ai également beaucoup aimé "The Mermaid" qui met en avant des percussions latines et un final où une section de cordes chaudes viennent rejoindre l’ensemble dans une atmosphère complètement cinématographique.

"Firecracker" porte bien son nom : ça démarre vite, avec un groove old school, une batterie vive et un jeu de basse qui accroche immédiatement. On sent que le groupe se lâche un peu, les harmonies vocales s’entremêlant avec brio à cette section de cuivres rayonnante, et ça leur va bien. Pareil pour "Crazy Idea" et son funk discret, sexy et plutôt moderne, avec un refrain des plus efficaces et des pont bien amenés.

Un demi-siècle plus tard, le trio survivant de CHICAGO a finalement su retrouver et préserver un peu l’essence du groupe, pour notre plus grand plaisir. On est loin d’un renouveau absolu ou d’un retour en arrière qui envoie du feu de dieu mais Born For This Moment reste tout à fait convenable. Il y a là suffisamment de musicalité pour nous redonner espoir : si les vétérans gardent les rênes, qui sait ce que l’avenir pourrait encore offrir ? Et si c’est leur dernier tour de piste, alors qu’il en soit ainsi. Il y ont mis du coeur, et ça, c’est exactement à leur image.