Chantre d'une certaine idée de l'Americana, BLACKBERRY SMOKE nous revient avec une offrande calibrée. Peut-être un peu trop. Tout dépendra de ce que vous recherchez : parfois on a envie d'une pink lady sans surprises, et parfois de reinette du Canada acidulée. Et après treize titres, dont certains peut-être de trop, le constat est mi-amer mi-rassurant : on a de la classe à la pelle, de la graisse, du léger, et des incursions dans à peu près tout ce qu'on aime chez eux : du blues-rock à l'anglaise des 60s, du southern pur, du folk, du country blues, jusqu'à un "I'll Keep Rambling" nous réservant une partie centrale à base de gospel totalement jouissive. Bref, un large siècle de musique anglo-américaine brassé par des musiciens qui n'ont plus rien à prouver.

Et c'est vrai que mis à part le titre d'intro, un "Flesh and Bones" peut-être un poil trop bourrin malgré un bel orgue et un solo qui relance le tout, ce disque sent plus le luxe que l'aisselle de camionneur. Et ce bien que la musique se fasse parfois canaille, comme pour "The Crooked Kind", sorte d'extension southern d'un CHEAP TRICK dont le démembrement harmonique est assez bluffant, surtout qu'il joue avec les nerfs de l'auditeur toute la chanson durant. Mais la majorité du disque va plutôt puiser dans le folk, la country pure (notamment sur le début en canon de "Let Me Down Easy", bonne idée malheureusement avortée), et l'Americana sur "Seems So Far", une ballade charmante, qui me rappelle furieusement un autre groupe et ne pourrait pas faire plus américain si son sort en dépendait.

C'est pourquoi leur façon d'éviter parfois les prises de risques peut conduire à une écoute polie, mais sans passion. Le fiddle de "I've Got this Song", la prestance du chant de "Best Seat in the House", la couleur hard rock de "Nobody Gives a Damn" entre autres n'arrivent pas à faire oublier que ces chansons sont un peu passe-partout, qu'elles n'ont pas la ferveur jouissive que BLACKBERRY pouvait insuffler à ses compos. De la belle ouvrage certes, mais qui laisse l'auditeur sur sa faim. Heureusement, ces baisses de tension, régulières, sont espacées pour laisser place à de vrais moments de plaisir.

"Medicate my Mind" va lorgner du côté des BLACK CROWES avec un traitement folk mais une double identité soul ("I'm black undercover" dirait Robert Downey Jr), "Mother Mountain" termine le disque sur une fausse piste avec des guitares folk mais cristallines et un chant en canon très "tight" qui rappellent immanquablement le "Carry On" de CROSBY STILLS NASH & YOUNG ; la belle "Til the Wheels Fall Off" laisse place à l'émotion et la passion, avec un côté southern prononcé mais "péquenots-free" si l'on peut dire. Meilleur titre de la fournée, "Run Away from it All" donne des ailes dès les premières secondes, avec une grande classe qui libère l'auditeur et l'envoie se promener à des milliers de kilomètres. Mentalement, hein, prenons soin de notre planète.

Pas inoubliable, ce disque prend le risque d'être peut-être pas l'album de trop,mais celui qu'on va oublier, qui donnera plus envie de se replonger dans les pages plus anciennes, plus brillantes, du groupe. Mais ce serait faire fi de quelques compositions franchement dignes d'intérêt. Un album buffet à volonté : à vous d'y repérer les mets les plus réussis et vous en gaver à satiété.