Au moment de réaliser leur quatrième album, les TALKING HEADS ne sont plus quatre mais cinq. En prenant part aux compositions, aux arrangements et aux textes, Brian Eno est devenu une tête parlante à part entière et dûment créditée, tandis que Frantz, Harrison et Weymouth sont désignés par un Talking Heads un peu réducteur. Telle est l’origine de la discorde. Si l’« erreur » a été réparée depuis, la complicité entre les quatre ne sera plus tout à fait la même.

Remain in Light intègre des éléments de musique africaine au rock. Il s’inspire principalement de la Jùjú music et de l’Afrobeat pour les rythmes, les percussions et les guitares. Coté rock, le disque exploite toutes les ressources de son époque. Si l’électricité est largement mise à l’honneur, l’électronique fait l’objet d’un travail poussé avec la recherche de sons variés et originaux.

L’album possède deux temps ; le premier est dansant et s’inscrit dans la veine d’I Zimbra. Le second est plutôt lancinant et évoque la Cold-wave britannique. Les titres ne sont plus composés comme des chansons mais construits à partir de rythmes sur lesquels les couches d’instruments se déposent. Remain in Light est d’abord un travail d’arrangements extrêmement fouillé. Le nombre de musiciens impliqués dans le processus transforme le groupe en un laboratoire de World-music. Les instruments s’expriment par « touches » et créent un nuage de sons toujours en mouvement. Pluie de percussions, vocaux enchevêtrés, cuivres trafiqués, spots électroniques, guitares zébrées… un festival de formes et de couleurs plein de nuances, de contrastes, exploitant la dynamique et la stéréo avec maestria. La production high-tech permet d’en reproduire les détails avec une clarté étonnante. Autant d’éléments qui en font un disque unique et novateur.

Après Robert Fripp, c’est Adrian Belew qui prête ses talents de guitariste excentrique. Plus qu’un simple invité, sa contribution est décisive sur l’ensemble du disque et il participera à la tournée avec NONA HENDRYX et JON HASSELL. Sur scène, les TALKING HEADS n’ont plus rien du groupe gentiment post-punk qui chantait « Psycho Killer » et deviennent un orchestre festif et métissé.

Les têtes parlantes réalisent ici une synthèse prodigieuse. Une musique noire et blanche, extravertie et introvertie, qui parle au corps comme aucune musique rock ne l’avait fait et annonce le meilleur des années 80 : le rythme, l’électronique, le goût du sombre et de l’élégance, un regard lucide et responsable sur l’occident doublé d’un intérêt sincère pour le tiers monde.

Remain in Light est un album aux charmes multiples qui se réécoute encore et encore. Entre ses ponctuations trompettistes, ses cascades de congas et ses rayures métalliques, on retiendra les parties vocales de Nona Hendryx sur « The Great Curve ». Avec ce disque les TALKING HEADS atteignent leur apogée ainsi que leurs limites. La tournée terminée, le groupe marquera une pause, publiera un double live et s’essaiera aux carrières solo et autres collaborations. Autant de signes qui ne trompent pas et augurent d’un avenir moins excitant. Rendez-vous dans trois ans.