Le monde est partagé en deux catégories de personnes : ceux qui ne connaissent pas Mr Bungle et ceux qui vivent dans la lumière. Rien de religieux dans leur illumination rassurez-vous, juste la joie égoïste de connaître selon eux « le meilleur groupe du monde » et de snober les autres (tout en se gardant bien de leur faire partager leur trouvaille).
Peu d’artistes ont pu traumatiser à ce point une poignée de fans en seulement trois disques. Six ans après sa dissolution officieuse (mais belle et bien effective), les uns espèrent toujours une improbable reformation tandis que les autres se consolent avec des drogues de substitution (Tomahawk, Fantomas ou Peeping Tom pour les plus atteints), produits dérivés certes très bons, mais cruellement inférieurs.

Le groupe emprunte son nom à deux personnages du paysage audiovisuel américain pour le moins contradictoires : un clown issu d’une série bon marché des années 50 en charge de sensibiliser les enfants aux bonnes manières, et un acteur de films pornographiques.
Il devra enregistrer quatre demos avant d’attirer l’attention de Warner (le récent succès de Mike Patton avec FNM n’y sera pas étranger).
Ce premier album est une synthèse de ces quatre demos. Autant dire qu’il n’y a pas de place ici pour le superflu ou le bouchage de trou, de nombreuses perles ayant d’ailleurs été écartées faute de place (« Mr Nice Guy »).
Du métal des débuts (speed et death essentiellement), le groupe va s’évader (sans jamais l’abandonner) et enrichir son vocabulaire musical (ska, funk, rap, jazz, musiques latines, extraits TV, jeux vidéo !) ce qui d’emblée le distingue de ses monolithiques confrères métalleux. Rajoutez à cela l’extraordinaire curiosité et ouverture d’esprit des musiciens (l’élégance des structures, le soucis constant de la dynamique, de la mélodie et du mouvement) et des collages d’extraits TV (ambiguïté soigneusement entretenue entre « Mr Bungle » le clown et « Mr Bungle » l’acteur X : brouillages de pistes garanties... et d’ailleurs, sont-ils si éloignés l’un de l’autre ?) et vous obtenez la formule de tous les paradoxes : violente et recherchée, psychiatrique et maîtrisée, joyeuse et malsaine.

La production atomique signée John Zorn (lui-même) n’enlève rien à la rage ni aux aspérités de leurs premiers essais, bien au contraire : le bolide dispose enfin du carburant qui va lui permettre d’aller plus loin, plus haut et plus vite. Anti-étiquette, Mr Bungle est un aspirateur musical qui parvient à réaliser un prodige : mélanger tous les genres sans jamais les trahir. Mieux, il les transcende et accède à quelque chose de foncièrement neuf. Le mot « fusion » trouve enfin ses lettres de noblesse.

On conseille souvent l’album « California » pour entrer en religion Bungle. Personnellement, je trouve ce premier opus beaucoup plus représentatif et finalement plus accessible qu’on ne le dit. Un parfait palier de décompression pour affronter ce qui va suivre.