Fruit quasi-solo de Kevin MOORE, ancien claviériste flamboyant de DREAM THEATER, CHROMA KEY est un projet miraculeux qui se situe aux antipodes du metal progressif vivace et virtuose de son ancien groupe. Lent, intimiste, organique, principalement acoustique et ambiant, ce premier album ne ressemble pas vraiment à quoi que ce soit de connu. Du Tony BANKS pour le son de piano, du Tori AMOS (référence clairement affichée, déclaration d'amour en direct incluse) pour les harmonies, un petit (tout petit) côté jazz fusion dans la section rythmique, des ambiances lorgnant vers MASSIVE ATTACK, une voix mal assurée, des mélodies extrêmement simples et dépouillées mais qui vous hantent longtemps : CHROMA KEY prend son temps pour que les 4 minutes de chansons soient toutes raffinées, délicates, de vrais moments de détente et d’introspection.

Le plus frappant est le côté immédiat des mélodies qu’on a l’impression de déjà connaître, tout en gardant irrémédiablement une originalité tangible : ça, c’est très fort, il faut plus que du travail pour y arriver, il faut aussi un peu de chance, ce qu’on appelle l’inspiration. Et MOORE en a à revendre. Il ne cède quasiment jamais aux sirènes du déluge de notes dont il est pourtant capable ; et quand il s’y adonne, c’est pour pondre le riff de "On The Page" qui devient dès la première écoute un grand classique du piano pop rock. De même pour sa voix qu’il sait faible : il ne la force jamais, reste dans une tessiture très étroite ; mais comme il a divinement soigné ses mélodies, tout passe. C’est sûrement le plus fort de cet album, cette façon de s’imposer aux oreilles, sans forcer. Il y a du SUPERTRAMP dans ce génie de toucher au coeur avec quelques notes de piano.

La production enfonce le clou, avec un son spécifique qui mélange la simplicité organique et la technologie, un nombre impressionnant de samples et d’effets sonores qui donnent au disque une âme supplémentaire. Sorcier des samplers, introverti farouche à la limite de l'autisme dans ses passages les plus déments (le glaçant "Camera 4" qui préfigure le cri d'alarme que Jean-Michel JARRE lancera avec Edward SNOWDEN), MOORE s’amuse comme un petit fou en studio. Summum de cette démence créatrice, le bruitiste "Hell Mary", document sonore de l’apocalypse nucléaire décrite par le dernier robot survivant. Glaçant. Terrifiant d'authenticité. Et de se dire que si l’album n’est pas absolument parfait, il est d’une qualité bluffante et présage d’un avenir passionnant, d'autant que son style particulier est totalement original à l'époque.

Histoire de se garder un minimum de chances de ventes, Kev'Mo a profité de son agenda bien rempli pour faire appel à quelques pointures : la paire rythmique de FATES WARNING Joey VERA / Mark ZONDER (la frappe de ce dernier est un pur délice de sensibilité). L'alors inconnu Jason ANDERSON vient l'épauler à la guitare, instrument que le beau Keviiiiiiiiiin ne maîtrise pas encore, et le tout est supervisé par un certain Steve TUSHAR. Un nom à retenir pour une suite qui ne manquera pas de surprendre encore plus que ce virage à 180° de la part d'un claviériste jusqu'à présent bête noire des grungeux, limite à traquer dans les bois la nuit tombée avec 5 labradors en laisse. Ou pas.