« Cet album, sans doute le dernier sous mon nom... ». C'est ainsi que Dan Ar BRAZ qualifie son disque de 2015, le plus récent à ce jour ; il est vrai que, depuis, il y en a eu un autre, mais en duo avec Clarisse LAVANANT. Le guitariste dédie cette oeuvre à Tristan, son fils mort à l'âge de 32 ans (en 2013), dont certaines photographies sont utilisées pour le livret et le packaging.

Depuis vingt ans environ, la carrière de Dan AR BRAZ avance de telle sorte qu'elle passe d'un style à l'autre, avec des cycles. Il y a eu l'Héritage des Celtes après des albums confidentiels, puis La Mémoire des Volets Blancs (2001), disque intimiste, retour à la chanson grand public avec À Toi et Ceux (2003) et Les Perches du Nil (2007), puis l'album de comptines avec Clarisse LAVANANT (2009), ensuite le re-retour à la chanson (Celebration, 2012) et là, cela change encore. On revient aux formules des années 80 avec le diptyque Musique Pour les Silences à Venir (1985)/Septembre Bleu (1988) et plus encore, de La Mémoire des Volets Blancs.

Ce qui devait être une trilogie à la base, se trouve augmenté par ce quatrième élément. Une recherche de douceur et d'élégance avec le soutien d'une équipe resserrée et, paradoxalement, plus de liberté, sont les maîtres mots sur cet opus. L'enfance aussi, bien sûr, fil conducteur d'un travail débuté trente ans avant : on voit d'ailleurs des petits jouer sur une balançoire face à la plage, splendide couverture ! Il est étonnant néanmoins que pour le titre, AR BRAZ a conservé le « S » de la Cornouailles anglaise, alors que le pays sud-ouest de la Bretagne (Crozon, Quimper, Concarneau, Douarnenez), son propre lieu de naissance, s'écrit sans, Cornouaille (Kerne en breton).

On apprend que ce projet de quatre disques devait être, à la base, une sélection de reprises de chansons françaises plus ou moins connues, dans la formule adoptée par AR BRAZ, instrumentale et visant à mettre la guitare en avant. Cornouailles Soundtrack marque une occasion de revenir enfin à cette idée initiale, à travers deux tentatives rescapées : « Avec le temps » de Léo FERRÉ et « Il voyage en solitaire » de Gérard MANSET. Autant la première reste assez fidèle dans l'air comme l'arrangement, autant pour la seconde, si l'on ne suit pas bien la mélodie de guitare, impossible de la reconnaître. C'est astucieux, joli, même si cela se fond dans un ensemble très homogène.

Cette « musique de film d'enfance » propose 15 morceaux en tout, courts, très courts, ou alors bien longs par rapport à l'ambiance globale (« May Peace Find You » et ses 9 minutes). Loin des années 80, les claviers sont pas mal en retrait, et, chose héritée de La Mémoire des Volets Blancs, le saxophone est mis en avant, plus que jamais. C'est Bernard Le Dréau, musicien également connu pour accompagner Didier SQUIBAN, qui joue du ténor et du soprano, et aux percussions, c'est la dernière partie de leur trio, Jérôme Kerihuel dont les percussions sont à leur tour bien présentes (tablas comprises). La couleur jazz de l'opus est complétée par la basse de Yannick Hardouin (Gabriel YACOUB et tant d'autres), en arrière dans le mix mais pas assez pour être transparente.

La guitare et le saxophone se suivent très souvent ou s'écartent à peine, sur des valses lentes, des rythmes folk-country ou calypso légers, à la fois sereins et nostalgiques. Le feeling de guitare (majoritairement électrique pour les solos) est toujours aussi impressionnant, sur les nouvelles compositions comme les reprises. Parmi celles-ci, on trouve aussi deux standards américains, à savoir le traditionnel « O Shenandoah » et « Moon River », interprétée d'abord par Audrey Hepburn. Pas de grand actrice ici, mais une très belle voix féminine fait son apparition, celle de Clarisse LAVANANT, radieuse comme son sourire, pour quelques vocalises sur « The Girl From the Mountain ». Sa voix s'accorde parfaitement au sax ténor et il est à espérer que ce sera reproduit.

Le reste des titres de Cornouailles Soundtrack se laisse défiler, plutôt bien. Trop peut-être, pour un disque qui, tout message mis à part, reste confiné à donner une atmosphère plus qu'à être réellement écouté. Il est vrai que Dan AR BRAZ, aujourd'hui, n'a plus besoin de faire du rock et vociférer « We'll bring back to life! » ; ici d'ailleurs, il faut atteindre le dernier titre et très bref « Theme for a Victory » pour entendre un tempo enlevé. Hank MARVIN est présent depuis toujours dans l'esprit de guitariste, mais celui-ci se rapproche aujourd'hui de Mark KNOPFLER dont les derniers albums ont pris une couleur sage, suffisamment pour ne pas captiver autant qu'elle le pourrait, et au bout d'une heure de musique.

Dans ce qu'on pourrait appeler vulgairement un « fond sonore », il reste de beaux éléments qui se distinguent, outre ceux mentionnés plus haut, comme la reprise de « Moon River » (elle rappelle « Blue in eau claire » sur Septembre Bleu) et « May Peace Find You », où là par contre, l'effet de répétition et celui d'allongement ne constituent point une limite. Pour un peu, on se croirait vraiment revenu aux années 80 ou début 90, avec peu d'instruments.