Dan Ar Braz, talentueux guitariste breton qui avait commencé sa carrière au sein du groupe de Alan Stivell, autre pape du genre, accède en 1994 au rang de figure majeure des cercles de la musiques celtique avec cet album ambitieux, l’Héritage des Celtes, en parvenant à réunir de nombreux de musiciens venus des quatre coins des terres celtiques (Bretagne, Ecosse, Irlande, Pays de Galles). Dan Ar Braz le rassembleur nous propose un album finement ouvragé où chacun y va de son apport personnel, entre tradition et modernité. L’ensemble des titres se pose comme une parfaite alternance entre chansons et parties instrumentales, les unes étant plutôt paisibles et les autres plutôt dansantes.

Les chansons louvoient dans les territoires de la ballade (encore que le terme balade pourrait également s’employer), variant de coloration en fonction des chanteurs et chanteuses, comme le doux et vibrant Borders of Salt chanté par Elaine Morgan, le mélancolique et introspectif Maro Eo Ma Mestrez interprété par Yann-Fañch Kemener, ou encore The Island, plus politiquement impliqué, magnifiquement interprété par Karen Matheson. En général, elles sont plutôt agréables. Les instrumentaux quant à eux sont plus rythmés, conçus pour faire remuer les têtes et les popotins comme Spike Island Lasses, mettant en avant le jeu virevoltant du violon et du bouzouki, le lyrique Green Lands qui agit comme une grande bouffée d’air frais vivifiante, au son étincelant de la guitare électrique et des cornemuses, April the 3rd qui mêle mélodie traditionnelle et rythmique moderne, ou encore les dansants King Of Laois, Scottish Suite et le bien nommé Call to the Dance qui clôt en beauté l’album.

Les instruments traditionnels frayent sans fautes de goût avec la guitare de Dan Ar Braz, qui ne rejette pas la simple position rythmique, tout en se chargeant d’émotion lyrique lorsqu’elle s’occupe de la ligne mélodique. Dan Ar Braz ne se pose pas en guitar hero arrogant et que les autres musiciens auraient à mettre en valeur. Au contraire, il adopte une posture plutôt humble, instrumentiste parmi d’autres, simplement au service de la musique. Ce qui confère assurément plus de poids à cette dernière. Le bagad de Kemper et le pipe band Shotts sont utilisés parcimonieusement, ne versant jamais dans la démonstration ostentatoire et racoleuse, et pimentent et colorent les morceaux en y ajoutant une touche emphatique ou épique diffuse, mais appréciable. A ce titre, l’alliance entre les arrangements folks et la section rock, batterie/guitare/basse, est une réussite.

L’album se laisse donc écouter, même si on regrettera peut-être que tout cela soit un peu trop sobre parfois. Dan Ar Braz, qui avait à sa disposition de nombreux musiciens, ne semble pas avoir réussi à exploiter totalement le potentiel que l’on devine devant un tel rassemblement. Il nous sert une recette, certes attrayante ou plaisante, ballades folks et instrumentaux dansants, mais qui manque un peu de sel me semble-t-il, un grain de folie qui nous ferait toucher à la jubilation. Toutefois, cela reste un album sympathique, mature, maîtrisé, voué à rallier les suffrages.