Une grosse pause, des changements d'équipe, Emmanuel MOIRE n'aura finalement pas sorti un "Le Chemin 3 : Portés Disparus". Etonnant, et salutaire. Ainsi l'un des auteurs compositeurs les plus prometteurs de ces dix dernières années n'a-t-il pas voulu se reposer sur une formule. Il conserve son style, sa voix, ses thèmes, et cette façon d'appréhender un album comme une vraie oeuvre et pas juste une compil de titres jetés en pâture aux radios, et ça, c'est tout à son honneur. Odyssée se présente donc comme une espèce de faux-vrai album concept basé sur sa découverte des choeurs africains et son parcours personnel. Un album, on va le dire derechef, pas totalement réussi. Mais bien plus intéressant que ses premières écoutes distraites laissent à penser.

On retrouve dans la première partie du disque un Emmanuel maître de son univers. De la longue intro "Le grand saut" prétexte à un joli build-up réussi, jusqu'à l'électro pop "Qui tu es" qui mélange la putasserie NRJ de l'album L'équilibre et un traitement plus fun et plus direct à la MUSE, cette première moitié se laisse apprivoiser à mesure des passages, distillant de bonnes mélodies, une production riche (comme d'habitude) et quelques surprises. Notamment le premier single, qui a surpris mais charmé : ces choeurs omniprésents, ce couplet parlé mais pas rap, ce refrain qui rappelle les singles précédents sans donner dans la pompe : c'est du bon ! Cöté fun, "Le plan du monde" mélange choeurs zoulous à donner la banane à Alain Juppé et refrain ultra-optimiste, d'une naïveté assumée, c'est frais comme la rosée du matin.

A l'inverse, "L'épreuve", clou du spectacle, montre MOIRE dans son côté épique mais solitaire, avec un refrain terriblement excellent, aux harmonies nickel. On se dit que le petit gars est prêt à faire le trick-hat. Malheureusement, à partir du long et trop attendu "La quête", qui brise l'album en deux tel un iceberg, le soufflé va quelque peu retomber. Des mélodies pas mauvaises mais un peu planplan ("Le héros", "La promesse" qui aurait dû aller à l'Eurovision avec son excellent riff de piano), une chanson totalement oubliable, bien faite mais anecdotique au possible ("Le bienveillant"), et un titre très intéressant mais qui va vous plomber votre soirée : "Une vie".

"Une vie" qui montre une autre facette d'Emmanuel, celle qu'on subodore depuis des années sans pouvoir la toucher du doigt : bien qu'un peu maladroite par moments, cette chanson admirablement construite est du pur progressif ambiancé qui détonne radicalement dans la prod française de 2019. C'est intelligent, subtil. Et bien que stoppant net le disque, probablement trop, il lui permet de repartir avec un "Mon odyssée" lâchant les chiens sur le côté electro et choeurs africains, lui donnant un petit air des tous premiers Hans ZIMMER (miam). Une bonne fin, moins bonne que les deux albums précédents cependant.

Minute papillon, fin ? Non, cette fois Manu finit sur du piano/voix, et qu'il a raison : avec son petit refrain simple qui touche au coeur, "Des mots à offrir" se permet de remettre les choses en place : oui, Odyssée est un peu bancal et n'a pas la force de ses deux grands frères ; mais ce serait folie de trop vite l'enterrer. Il s'agit probablement d'un album de transition, et de toutes façons en aucun cas un album à prendre à la légère. Pas si facile d'accès, bien fait et intègre, Odyssée est une continuation tout à fait honorable d'une carrière qu'on va continuer à suivre de près. Petit conseil d'ami : il est temps de sortir un live plein de guitares graisseuses, de choeurs démentiels et de complicité avec le public pour consolider tout ça. Je dis ça je dis rien, hein.