Quatre ans séparent Drama of Exile, sorti en 1981, de Camera Obscura, sixième album de NICO en vingt ans, sorti en 1985. Mine de rien pas mal de choses ont changé durant ce laps de temps : le monde de la musique underground est secoué par les vagues du gothique apportées par des groupes comme BAUHAUS ou THE SISTERS OF MERCY, qui élisent Nico en Reine du Sabbath en se réclamant ouvertement de son influence. Son nom se retrouve même cité dans un milieu plus mainstream grâce à Ian ASTBURY des CULT qui ne cache pas son admiration pour la chanteuse.

Si cette reconnaissance ne lui apporte toujours pas une sécurité financière, elle est en tout cas décidée à mener une vie plus stable pour élever son fils Ari. Elle s'établit au Royaume-Uni dans la région de Manchester et se fait un peu d'argent en donnant ci et là quelques concerts. Elle n'a plus tellement la tête à la musique, mais décide de s'y remettre pour se vider la tête en même temps qu'elle décide sérieusement de se débarrasser de son addiction à l'héroïne.
Sa couronne nouvellement acquise lui permet de se faire courtiser par des labels indépendants, et c'est grâce à Beggars Banquet Records, spécialisé dans les albums de punk les plus obscurs, qui lui ouvre les portes du studio. Elle y entre accompagné de son fidèle John CALE, qui semble lui avoir pardonné son infidélité de 1981 lorsqu'elle ne l'avait pas rappelé pour enregistrer Drama of Exile. Ils emmènent aussi avec eux un petit groupe nommé THE FACTION pour les accompagner, histoire que Cale ne s'occupe plus tout seul de la quasi-intégralité des instruments.

Le décor étant posé, posons la question qui fâche : Nico est-elle capable d'enregistrer un disque lorsqu'elle n'est pas dos au mur ? Jusque-là tous ses albums avait été composés dans la douleur, que cela soit dû à des problèmes internes (Drama of Exile, Chelsea Girl) ou dans le tumulte de sa vie personnelle (la trilogie The Marble Index, Desertshore, The End). C'était cela qui donnait à ses disques cette saveur si particulière, ce mélange de douleur et de désespoir qui vous glace le sang. Peut-elle encore invoquer cette froideur alors qu'elle semble plus stable et décidée à mener une vie très relativement normale ?
Autant répondre tout de suite, oui...et non. Oui, parce que cette fameuse froideur est naturelle chez Nico. C'est quelque chose qui est ancré au plus profond de son être et qui fait parti de son identité. Et en même temps non, parce que si Camera Obscura signe un retour aux influences gothiques de The Marble Index après un Drama of Exile résolument post-punk, il est beaucoup plus accessible que ses ancêtres. D'ailleurs, la plupart des morceaux présents ne datent pas des sessions d'enregistrements mais ont été écrits bien avant. « König» par exemple aurait dû au départ se retrouver sur Desertshore, alors qu'elle a joué « Tanarore » pendant ses concerts dans les années 70 (la première fois à Marseille d'ailleurs).

Le délicat exercice d'équilibriste auquel se livre Nico à chaque album entre sa voix et son harmonium ne lui réussit pas autant ici que d'habitude. Quelques morceaux, principalement les deux en allemand, ne soulèvent pas grand enthousiasme, quand « Tanarore » s'écoute avec un ennui poli. La « formule Nico » commence à montrer quelques failles dans son exécution mais se rattrape heureusement en nous offrant des dernières pépites sombres : la reprise de « My Funny Valentine » où la chanteuse adopte un chant plus classique, ce qui a de quoi déstabiliser, mais convainc vite. Face à elle se tient l'imposant « Fearfully In Danger » qui demande de l'auditeur sept minutes de bravoure pour prendre ce morceau à bras-le-corps. Il demande un effort mais c'est un morceau qui en vaut la peine quand il se dévoile à vous.

Comme d'habitude pour Nico Camera Obscura n'attirera lors de sa sortie que les amateurs et les très curieux. Suivant la sortie de l'album elle continua à se produire de temps à autre mais s'éloigna progressivement de cette célébrité peu à peu grandissante qu'elle convoitait autant qu'elle craignait. Toujours en train d'essayer de décrocher de l'héroïne elle se mis à prendre une drogue de substitution moins puissante et décida de s'établir à Ibiza, une île où elle s'était déjà rendue au tout début de sa carrière de modèle et où elle avait pu se faire connaître du gratin. Elle y trouva là-bas la paix qu'elle recherchait tant, accompagnée de son fils Ari avec qui elle développa une relation fusionnelle. Une situation presque idyllique qui ne pouvait durer : le matin du 17 Juillet 1988, en pleine canicule, elle se protégea la tête d'un foulard noir et déclara à son fils qu'elle partait en ville acheter du cannabis à vélo. Trouvée inconsciente au bord de la route par un passant, elle ne se réveillera pas et quittera ce monde à 20h, ce 17 Juillet 1988, victime d'une hémorragie cérébrale. Son corps sera ramené en Allemagne et enterré au cimetière de Grunewald à Berlin, près de celui de sa mère. Pendant la cérémonie ses amis présents joueront sa chanson « Mutterlein » en son hommage. Laissé à lui-même à 16 ans, son fils Ari connaîtra des années difficiles de drogues, de cure de désintoxication et de précarité avant de trouver sa voie en tant que photographe. Aujourd'hui père de famille, il ne parle de sa mère qu'avec une certaine pudeur dans les quelques interviews qu'il accepte de diffuser.