Comme son nom l’indique, ELECTRIC MASADA n’est autre que la version électrifiée – et pour le moins électrisante – de quelques morceaux tirés du Masada Songbook. Ces titres, nous les connaissons tous. Ils ont déjà été enregistrés sur Bar Kokba*, The Circle Maker** ou par le quartet MASADA.
Le groupe que nous entendons ici est cependant entièrement nouveau, même s'il paraît familier : il est strictement constitué de fidèles de la galaxie zornienne, vétérans (Marc RIBOT, Joey BARON, etc.) et recrues plus récentes (Trevor DUNN, Jamie SAFT), et ressemble en fait à une recette largement éprouvée, celle du « all stars*** » se réunissant pour réinterpréter des succès passés. Bon sang, serions-nous face à un « Greatest Hits Live » ? Oui, en quelque sorte. Pour le fan, en tout cas, c’est indéniable et, disons-le, franchement délectable.

On a beau connaître les titres, leur réinterprétation est un pur régal. Régal face au côté « super groupe » de l’orchestre, constitué de huit musiciens, dont deux batteurs et un percussionniste – rien que ça ! – ; régal face à la couleur très 70's de l’ensemble, marqué par les solistes RIBOT (guitare) et SAFT (orgue), qui imprègnent le son à grands coups de guitare fuzz pour l’un, de Rhodes pour l’autre ; régal face à la durée des titres dont on profite largement.
Si John ZORN nous a autrefois forcé à revoir notre grammaire du rock en balançant à toute blinde des morceaux de 10 secondes comprenant intro, développement, outro, break de batterie, pont et solo compris, il revoit ici son style : ELECTRIC MASADA prend en effet tout son temps, étirant des intro jusqu’à plus soif, développant des chorus longs comme le bras, rappelant là aussi les grandes heures du rock des années 1970.

D’une puissance à couper le souffle, le groupe vous emporte comme un fétu de paille. John ZORN, fidèle à lui-même, dirige ELECTRIC MASADA comme s’il jouait d’un instrument vivant, parvenant à tirer une musique impitoyablement dense et précise de ce qui aurait pu tourner à un insupportable magma sonore. Pensez : huit artilleurs de premier plan, dont deux batteurs et un percussionniste, il faut s’appeler ZORN pour les maîtriser tout en leur lâchant la bride. Et puisqu’on mentionne la rythmique, n’oublions pas le rôle singulier d'Ikue MORI, au laptop, qui ajoute encore davantage de matière sonore à un groupe qui n’en manque pourtant pas. Ils sont donc quatre en tout à former l’agrégat qui permet aux solistes de s’exprimer. Trevor DUNN, à la basse, fait comme toujours le lien entre tous, en musicien discret mais ô combien nécessaire à la solidité de la structure, qu’il tient à bout de bras.

Le concert semble plus ou moins divisé en deux parties : franchement furieux en son début (« Tekufah », et surtout « Idalah-Abal »), il se calme peu à peu, ZORN emmenant le groupe, au détour du « tube**** » « Hat-Arob », vers une atmosphère toujours électrique mais plus sereine, jusqu’au méditatif « Kisofim ».

ZORN montre ici une fois de plus son immense talent de chef d’orchestre, proposant une espèce de Klezmer-Rock dément, toujours sur le fil entre contrôle et laisser-aller. ELECTRIC MASADA est indéniablement un des groupes les plus puissants qu’il ait montés, ce qui n’est pas peu dire. Les amateurs de musique intense, qu’ils aiment le Klezmer, le Jazz ou le Rock, devraient y trouver leur compte. Pour les derniers, on ne peut d’ailleurs que recommander « Idalah-Abal ». Qui sait s’ils ne tomberont pas dans le bouillonnant chaudron de la musique de ZORN après l’avoir écouté ?
Les 4 étoiles de la note peuvent sembler sévères pour un groupe de ce niveau. Mais quelles que soient les immenses qualités de ce disque, il faut se préparer à une confrontation avec la dure réalité : ELECTRIC MASADA, qui signe ici un disque stratosphérique, va pourtant réussir l’exploit de faire encore mieux.


*http://fp.nightfall.fr/index_13665_john-zorn-bar-kokhba-masada-chamber-ensembles.html
**http://fp.nightfall.fr/index_13792_masada-string-trio-the-circle-maker-issachar.html et http://fp.nightfall.fr/index_13805_bar-kokhba-sextet-the-circle-maker-zevulun.html
***Toutes proportions gardées, évidemment. C’est un « all-stars » pour les amateurs de ZORN uniquement.
****On trouve déjà ce morceau sur le disque Bar Kokhba, joué par John MEDESKI au piano solo. Il sera également joué régulièrement par MASADA, sur disque et sur scène. C’est un excellent exemple de la façon dont ZORN peut adapter un titre du Masada Songbook.