Commençons par évacuer le sujet qui fâche. Lorsqu’il s’est passé ce qu’il s’est passé, j’ai mis deux semaines avant de réécouter 666.667 Club. Un temps incroyablement long, car j’écoutais alors ce CD plusieurs fois par semaine et les autres albums du groupe presque aussi régulièrement. J’avais peur. Peur de ne plus ressentir la même chose après ça, que ce soit gâché. Et puis un jour j’ai pris mon disque à deux mains ; et c’était pareil. Mais exactement pareil. Le même absolu transport qui me prenait à chaque fois que je faisais tourner cette galette. J’ai alors compris, en quelques secondes, physiquement, cette chose essentielle : si Bertrand CANTAT n’est qu’un homme, NOIR DESIR est éternel. Les deux n’ont pour ainsi dire aucun rapport.

Cela dit, je me dois de saluer avec le recul la lucidité de Sergio qui comprit un soir de 2010 que toute idée de retour de NOIR DEZ était vaine. La légitimité du groupe était restée à Vilnius et il n’y avait rien de bon à attendre d’une éventuelle suite. Il n’est pas anodin de constater que de l’éphémère réunion du quatuor ne subsiste dans cette intégrale que les reprises de BASHUNG. Ce coffret, peu devaient s’attendre à sa sortie, surtout après l’épisode de la tournée solo de CANTAT irrémédiablement enlisée dans les controverses. Mais Barclay a su faire les choses comme il le fallait, avec discrétion et dans le bon rythme, pour sortir à l’occasion des dix ans de l’euthanasie du groupe cette somme. Après un premier ballon d’essai favorablement accueilli (l’album Débranché, live acoustique, sorti quelques mois avant), la maison de disque réussit à offrir ce beau cadeau loin de toute polémique.

A qui l’offrir ? Aux néophytes et aux fans. Pour ceux qui n’ont jamais vraiment écouté NOIR DESIR, cette intégrale est l’occasion de faire le tour d’une œuvre à la force unique. Voici une petite théorie personnelle : certains groupes ou artistes penchent vers un élément. PINK FLOYD est aérien, CABREL terrien. Les bordelais étaient des adeptes du feu, qu’ils ont su mieux que nuls autres incarner musicalement en quelques albums. On retrouve la flamme naissante d’Où veux-tu qu’je r’garde, la flambée aérée de Veuillez rendre l’âme, le brasier incandescent Du ciment sous les plaines, le bûcher ardent Tostaky, l’éclatant 666.667 Club et le pictural Des visages des figures, éclairé à la bougie, comme autant d’éléments d’une étude prométhéenne au long cours, à laquelle s’ajoute encore l’incendiaire Dies Irae et le chamanique En public. "Pyromane à temps complet, j’ai mis l’feu à tout c’que j’ai touché" chantait CANTAT dès les premières heures…

En tout, et en comptant le disque de remixes One trip / One noise, la discographie historique du groupe tient sur 11 disques, à découvrir ou à réécouter pour le remaster parfaitement taillé mettant un peu plus en oreille le travail des bassistes Fred Vidalenc et Jean-Paul Roy. Ce coffret Intégrale s’inscrit dans une série que la maison de disque sort depuis quelques années pour ses artistes historiques. La forme prend celle d’un grand livre, dont les pages contiennent les disques ainsi qu’un gros livret rempli de photos. J’avais précédemment eu l’occasion d’avoir en main celui consacré à Jean FERRAT et celui d’ARTHUR H. La discographie de ces artistes permettait de remplir le format sans soucis, mais celle de NOIR DESIR étant bien plus courte, il a fallu aller chercher de quoi alimenter pleinement cette nomenclature. Les sept derniers disques (plus du tiers du coffret donc) sont ainsi l’occasion d’élargir la perception que l’on avait déjà de ce groupe immense.

C’est donc ici qu’il s’adresse aux fans. Ceux-ci constateront quelques manques dans les deux disques de raretés, en particulier les morceaux avec SIXTEEN HORSEPOWER, ce qui pourrait les faire pinailler sur le sens du mot "intégrale". Pour celles et ceux qui collectionnaient les features et covers du groupe parues ça ou là, il n’y a en réalité que peu de vraie nouveauté ici. Au-delà du plaisir manifeste d’avoir enfin en main une vraie compil techniquement au poil de ces chansons éparses, ils devront surtout se contenter des quelques relectures présentes sur ces deux disques, mais surtout sur les deux autres CD contenant des maquettes et des démos. Ils sont l’occasion d’en découvrir un peu plus sur le processus créatif des bordelais et les différentes voies explorées avant le choix des versions que l’on connait tous. L’occasion de constater qu’avec le temps les quatre hommes sont devenus plus sûrs de leur fait, allant plus rapidement vers leur but. Ainsi le disque reprenant les trois derniers albums présente deux fois moins de titres que celui avec les versions parallèles des trois premiers, et avec moins de différences encore. C’est donc au niveau des vieux morceaux que l’on retrouve les choses les plus intéressantes, un aspect stonien peu entrevu sur les versions finales, une variante davantage marine du premier succès des girondins "Aux sombres héros de l’amer" ou une version complètement alternative de "Charlie".

Les trois derniers disques sont quant à eux de vrais albums venant compléter la discographie historique du groupe. On retrouve le live acoustique dont je parlais au début, précédemment sorti dans une édition vinyle limitée en prélude à la parution de cette intégrale - avec qui il partage le visuel fait de néons. Il y a ensuite un autre live, inédit au moment de la parution de cette intégrale mais sorti indépendamment depuis. Il s’agit d’un enregistrement de la tournée suivant Du ciment sous les plaines, soit le témoignage le plus ancien de nos quatre mousquetaires sur scène à ce jour. Le dernier disque intègre quant à lui officiellement dans la discographie de NOIR DESIR un enregistrement que les spécialistes connaissent depuis longtemps : Nous n’avons fait que fuir. Long poème de Cantat porté par le son de ses camarades, que l’on trouve donc ici dans une version techniquement à la hauteur du groupe. Enfin, cerise sur le gâteau, le coffret propose aussi un DVD reprenant le concert figurant dans celui de 2005, avec en plus un autre de l’époque Tostaky (dans une qualité assez faible cependant). Pour finir cette chronique, un petit mot de remerciement à Barclay pour avoir su préparer et présenter cette intégrale, sans crispation inutile, permettant de faire le tour d’une œuvre incontournable avec une qualité technique renouvelée. Elle a la grande qualité de remettre au centre des choses le plus important, c’est-à-dire la musique toujours aussi splendide de NOIR DESIR, la plus brûlante des alchimies.