Dans la précipitation de la gigantesque tournée Veuillez rendre l'âme... (le groupe a tourné jusqu'en U.R.S.S.), NOIR DESIR, groupe bordelais au premier album triomphal (rapidement disque d'or, ce qui pour un groupe de rock français est rare), enregistre son second album studio Du ciment sous les plaines, étrange et sensiblement différent. Le groupe n'a que le désir de répondre à ses propres attentes, ne cherche pas à séduire un public encore plus large, et peu importe si ce second album ne plaît pas autant que le précédent. NOIR DESIR s'enferme en studio sans producteur : le groupe est ici également derrière les consoles.

Autant le dire d'emblée, Du Ciment Sous les Plaines n'est pas aussi accessible que son prédécesseur, son ambiance beaucoup plus chaude et confinée en fait une sorte de grosse bulle dans laquelle il est difficile d'entrer et, par conséquent, de sortir. Les compositions sont beaucoup plus énervées qu'auparavant, le géant Serge Teyssot-Gay fait planer l'ombre de ses guitares sur tout le disque, d'une habileté étourdissante. Caressées, frappées ou décortiquées, ses cordes accompagnent la voix de Bertrand dans des canyons vocaux effrayants. En effet, la peur domine l'album. L'appréhension, le rejet, le dégoût sont des sensations qui reviennent régulièrement.
Peignant un monde de plus en plus noir et pourtant de plus en plus réaliste, Bertrand enjolive à nouveau la mort ("Charlie"), dénonce à contre-coeur les travers de la société qui l'entoure ("En route pour la joie", "The Holy Economic War"), se révolte contre tout mais surtout contre lui-même (le bouleversant "Tu m'donnes le mal"). Les compositions, bien que parfois faiblardes, sont plus humaines que jamais, on sent que les nerfs ont été mis à rude épreuve (le puissant "Hoo Doo" de 45 secondes en guitare-voix, la suante reprise de THE SAINTS : "The Chameleon").
Dans cet univers étrangement réaliste et amer, il est impensable de ne pas avoir cette petite boule de stress à travers la gorge qui gonfle au rythme du martèlement beaucoup plus maîtrisé de Denis. La voix faiblissante de Bertrand donne mal au coeur sur certains morceaux ("Pictures of Yourself"), on a envie de le prendre dans nos bras et de le bercer, rien ne va plus vraiment autour de ce jeune homme. Ses écrits se font confus, sa voix à la limite de la rage et du sanglot, la lente cadence de ses mots pèse drôlement sur ses vers éparpillés presque au hasard ("La chanson de la main", "les oriflammes"), ce chanteur a mal au coeur. La magnifique pochette de l'album illustre à merveille ce malaise : des images de guerre, d'argent, du temps qui passe, du communisme qui vient de s'effondrer et cette phrase utopique qui donne son nom au magnifique single apocalyptique : "En route pour la joie".

Oui, nous aimerions vous suivre afin que vous nous ouvriez le chemin vers la joie, messieurs. Mais vous ne pouvez pas tout faire en même temps, malheureusement. Vous nous livrez déjà un bel album fragile et troublant qui contribue partiellement à la joie de nos oreilles, mais qui, de malaises en malaises, ne nous met pas du baume au coeur, loin de là.