La carrière d'Emily REMLER prend une tournure très positive en ce début d'année 89. Elle quitte Concord et signe avec le label Justice basé à Houston. C'est une forme d'au revoir en ce qui concerne le Hard bop et le jazz de ses débuts. L'évolution est en marche et rien ne semble devoir l'arrêter. Emily s'intéresse de très près à d'autres formes de musique, la modernité commence à intégrer ses démarches, l'électronique notamment. C'est ainsi qu'elle commence à jouer sérieusement du synthaxe, cet instrument mi claviers mi guitare que seuls Allan HOLDSWORTH et Pat METHENY ont réellement maîtrisé au cours de leurs carrières respectives – au plus haut niveau -. Ce disque est donc orienté fusion, même si ses influences exotiques restent au premier plan.

Toutes les compositions de cet opus sortent de la guitare d'Emily, jamais un de ses albums n'a été aussi plein. On remarque aussi cette singulière pochette, ou on peut admirer trois peintures de la photo ornant son précédent album East To Wes. J'y vois plusieurs éléments. Emily peinte façon cubique "à la Picasso" , qui lui donne une apparence maléfique, une peinture plus "neutre" et enfin, une dernière ou on retrouve le visage d'Emily, plus serein et posé, moi je la trouve belle. Pas innocent tout ça, mais illustre remarquablement le combat pour la survie tant personnelle qu'artistique qu'Emily a toujours du mener.

En mode fusion donc ! "Deep In A Trance", fort smooth, avec un motif mélodique moderne et coloré. Les premiers solo sont empreints d'un tout autre esprit que ses disques précédents. On pense à METHENY mais aussi à CORYELL, c'est magnifique d'aisance, elle n'aligne pas les gammes à la manière d'un HOLDSWORTH malgré une composition comparable à celles du grand Allan, au contraire, son style s'adapte à ce son plus moderne, mais sa patte reste identifiable. Les mânes d'Allan sont à nouveau convoquées sur "Dark Passage", nous sommes en plein jazz fusion ! "Around The Bend" sonne très eighties, l'électronique y prend le pas sur le classique en terme d'arrangements mais les solos restent magnifiques. L'entêtante mélodie de "Song For Maggie" prêche calme et volupté, avec une basse incisive. "Love Colors" sur un thème doux, la voit se confronter aux synthés de BENOIT, on est smooth en diable, le toucher se fait velouté, le grain très identifiable, la technique irréprochable...Ah ! Herb a du être fier en entendant cela ! Une certaine emphase dans la composition et pas mal de modernité.

Elle privilégie l'acoustique sur "You Know What I'm Sayin", les nappes de synthés jouées par David BENOIT créent une consistance suffisante pour permettre à Emily de briller. Elle impose sa technique parfaite avec beaucoup de feeling. L'impro semble permanente sur les prises. Titre cool aux consonances à la Larry CORYELL. La ligne obstinée de basse qu'elle joue à l'acoustique sur "Majestic Dance" nous rapproche à nouveau de ses velléités tribales. Titre qui semble totalement improvisée par moment, Emily alterne jeu en picking ou au pouce à la Wes, avec jeu au médiator tiré des œuvres complètes de Larry CORRYELL et John MCLAUGHIN. De là à assume que sa transition vers la liberté est achevé il n'y a qu'un pas.

"Carenia" nous ramène vers les terres brésiliennes qui ne l'auront finalement jamais quitté. L'ambiance bossa nova est revendiquée et maîtrisée et les solos déchirent l'espace. Je trouve ce titre très touchant. Dans un esprit complètement jazz fusion, la « E Samba » détonne par la clarté de son thème, entraînant et aérien. Un simple beat de piano et une ligne de voix enchaînent avec "Simplicidade". l'ambiance sud américaine n'empêche nullement la new yorkaise de poser des solos de synthaxe assez déments. Son niveau technique a juste explosé. Bill O'Connell au piano fait des merveilles. Enfin, "Second Childhood" avec ses percus tribales, clame l'innocence dont Emily ne s'est jamais départie malgré ses penchants pour l'autodestruction, sur une superbe ligne acoustique.

C'était écrit : pas un seul faux pas dans la très courte discographie studio d'Emily REMLER. Le petit ange au sourire mutin aura toujours délivré un message respectueux, d'abord rigoureuse dans un cheminement très classique, puis peu à peu s'est émancipée de l'influence de ses grands maîtres pour concevoir son style sur le terrain de jeu qui lui convenait le mieux. Ce testament est l'image même de cette évolution, entre tribalisme et latinisme des thèmes, entrecoupé d'éléments à la pointe de la modernité qui portent haut son étoile, proche de METHENY et HOLDSWORTH, dont les noms sont évidents ici. Imaginez ce qu'une Emily au faite de ses moyens technique aurait produit et crée comme musique dans notre vingt et unième siècle.

Elle était cependant poursuivie par ses démons intérieurs depuis des années. Et c'est au cours d'une tournée en Australie que ses addictions l'ont finalement rattrapées, quelle que soit la manière, elle est retrouvée décédée un triste matin de Mai, insuffisance cardiaque… Emily REMLER reste une guitar hero d'un talent immense, peut-être même la première du genre au féminin à un tel niveau, cela se discute je vous l'accorde ! Elle a en tous cas bien mérité de la postérité, ne l'oublions pas ! Loads of love Emily !