Question existentielle : combien d’entre vous auraient osé appeler un groupe les Tortues ? Quelle mouche les a piqués ? Qui va les prendre au sérieux ? Et pourtant, le nom colle bien à la personnalité plutôt laidback et "ronde" des membres du groupe. Il faut jouer avec ce qu’on a de mieux et, en l’occurrence, les TURTLES peuvent compter sur leur humour et leur jovialité pour plaire au plus grand nombre. Mais l’histoire est déjà en marche alors que le groupe entre en studio pour mettre en boîte son deuxième album après le franc succès de It Ain’t Me Baby. Les jeunes gens s’accoutument aussi aux tournées et à la dingue vie de rock star, eux qui sortent à peine de high school !

Cette fois, c’est le single "You Baby" qui est chargé d’une carrière dans les charts. Il le fait de manière très honorable en atteignant la 20ème place. Les trademarks sont là, le chant velouté de Howard et les incessants choeurs californiens à la BEACH BOYS agrémentent avec justesse la vibe pop du titre. On remarque le bridge en palm mute d’une surprenante modernité alors que nous ne sommes qu’en 66, et que le hard-rock vient à peine de naître. Elle sort de la besace de PF SLOAN, habituel pourvoyeur en hit du groupe, tout comme le mid-slow "I Know That You’ll Be There" et la superbe "Can I get To Know You Better", aux intonations si proches des garçons de la plage. On ne revient pas sur "Let Me Be" déjà présente sur le premier album.

Le chanteur Howard Kaylan prend clairement le leadership musical du groupe en proposant plusieurs compositions. "House Of Pain" partage quelques éléments forts avec sa cousine "House Of The Rising Sun" des ANIMALS. Un petit côté épique traverse cette aventure de cowboy conté avec talent par Howie. D’ailleurs, "Almost There" est bien percutante, on peine à reconnaître la voix du chanteur qui crie plus qu’il ne chante, du rock bien hard comme on n’imagine finalement pas les TURTLES en jouer. Mais il y a une logique : "Pall Bearing Ball Bearing World" propose aussi une certaine complexité et de l’aggressivité en matière d’orchestration. Le titre annonce notamment les PRETTY THINGS, c’est donc bien rentre-dedans.

Comme toujours, les compositions du guitariste Al Nichol sont différentes, plus rock que pop, avec une vibe nettement psychédélique, un brin en avance sur leur temps. Cette "Flyin High" n’échappe pas à la règle, même si son aspect mélodique est assez fruste. On y est séduit par l’esprit "bombastique" qui y règne. "Just A Room" avec son hammond sonne magnifiquement 66, année où tous les groupes tentent de sortir du carcan pop-rock, le joli refrain marque les mémoires. "I Need Someone" écrite par les discrets Portz et Tucker sort du même tonneau. Portz propose aussi "Give Love A Trial", un mid-slow assez classique.

On se marre dans "Down In Suburbia", écrite par le folkeux Bob Lind, mais le titre manque un peu de ressort malgré des choeurs incessants. Le groupe chante à l’unisson sur "All My Problems", mais là encore, tout ceci manque un peu de sang de sueur et de larmes, un peu trop plat. Toutefois, la reprise de Warren ZEVON, "Outside Chance", reste efficace. Globalement, il me semble que les TURTLES, à l’instar des meilleurs groupe du moment, sont meilleurs sur leurs compositions que dans le monde des reprises.

Cette deuxième contribution à l’histoire de la musique populaire ne fonctionne pas aussi bien que la première, même si les TURTLES entretiennent leur image avec un certain brio à la télé et lors de leurs concerts. Seul le single "You Baby" resté dans la mémoire collective mérite sa place dans les annales de la postérité, le reste s'avère certes de bon aloi, mais il va falloir faire mieux. D’ailleurs, la situation reste sur le fil du rasoir : le batteur Don Murray et le bassiste Chuck Portz quittent le groupe en cette fin d’année 66, il faut rebondir. L’album se vend tout de même bien et mérite ses trois étoiles. Nous parvenons déjà au tournant de leur carrière avec l’arrivée attendue d’être 'tellement heureux ensemble' !